Au MAC VAL, avant même de pénétrer dans les salles d’exposition, une fresque court tout le long du couloir d’entrée. On y voit des articles datant de 1996-1997 formant une revue de presse pléthorique, de People au Monde. Forcément, on s’interroge : il est peu courant qu’un artiste retienne à ce point l’attention médiatique. Or rien en soi n’induirait la starification du sujet : les portraits montrent un grand ado, normal jusqu’au normcore. Peut-être une tentative d’hameçonnage IRL, alors ? Les promesses aguicheuses fleurissent : “On me reverse l’argent directement.” Ou encore : “Tout le monde pourrait manger gratis, mais personne n’en profite.”
Il s’agit en réalité d’un témoignage en acte de la méthode Matthieu Laurette et l’introduction à la “rétrospective dérivée” qu’accueille le musée. Les articles en question font partie d’un ensemble plus large qui rassemble les archives – posters, vidéos, tracts, produits – issues de l’un des projets emblématiques de l’artiste : les Produits remboursés (ou Money-Back Products) d’une série menée de 1991 à 2001. Soit une œuvre qui repose sur l’infiltration du système médiatique et la réaction en chaîne de la circulation de l’information, prenant à leur propre jeu les opérations marketing racoleuses à base de “satisfait ou remboursé”. Il s’agit de l’une des premières œuvres de l’artiste, l’une des plus connues également, précédée par un coup d’éclat populaire.
En 1993, encore étudiant, il passe à la télévision et se proclame “artiste multimédia”, avec pour témoins les nombreux·ses téléspectateur·ices de l’émission de téléréalité Tournez Manège !, sorte d’ancêtre de The Bachelor. En liant les deux pièces, tout est déjà là : la réflexion performative rebat les cartes de l’artiste et de son public, de l’original et de la copie, de la contemplation et de la participation, de la valeur et de la viralité. On serait tenté·e d’y voir l’anticipation de l’artiste influenceur·se et de l’art crowdfundé, des créateur·ices de contenu et des prosommateur·ices. Mais mais cela serait aller un peu vite en besogne : la rétrospective joue sur un recul historique réactualisable.
Les débuts sont là, précisant le contexte des années 1990 avec la photo de classe des Beaux-Arts de Grenoble en 1995, et la complexité de s’insérer dans un monde de l’art encore fermé aux nouveaux et nouvelles venu·es : se faire connaître avant Instagram passera donc par la télévision. C’est aussi la question de la profession d’artiste, pas encore pensée comme des “travailleur·se de l’art”, et des impératifs socio-économiques demeurant alors tabous – remplir son caddie, notamment. Dans les espaces de la proposition, tout est affaire de gestes légers, proches de l’esprit de la “liberté buissonnière” chère à l’anthropologue du quotidien Michel de Certeau et théorisée durant la même décennie.
Sans figer dans le marbre ce qui par essence fonctionne en circulant, l’exposition donne à voir et à lire les protocoles et les contrats, les affiches et les captations vidéo, la correspondance avec les institutions et en particulier les lettres de refus. C’est une “exposition d’expositions”, formulera son curateur Cédric Fauq, puisque l’une des solutions est ici de reconstituer des parties d’expositions antérieures de l’artiste : au MAC VAL, il a déjà exposé quatre fois (en 2012, 2015, 2016 et 2019), et à l’international, il est passé par les plus grandes institutions, du Guggenheim à New York (1998) au Palais de Tokyo à Paris (2003, 2006), en passant par la 49e Biennale de Venise d’Harald Szeemann (2001).
La rétrospective permet de présenter à nouveau, à l’aune d’un paradigme changé, la pratique d’un artiste quelque peu délaissé aujourd’hui (pour avoir été trop vu et visible ?), qui aura inscrit un chapitre français aux médias tactiques et à ses praticien·nes américain·es, comme les collectifs The Yes Men ou Critical Art Ensemble. La spécificité de Matthieu Laurette réside peut-être dans la réconciliation du système médiatique et des institutions artistiques : il précise avoir toujours tenu à “parler de l’intérieur”, lucide sur sa codépendance au milieu de l’art. Il n’empêche, la rétrospective de cet enfant de Marx, Coca-Cola et Loft Story inscrit dans l’histoire de l’art une pratique rendue à ses usager·ères et aux “99 % restants”, jusqu’à identifier peut-être, en ressortant de l’exposition, toute une nouvelle généalogie de pratiques artistiques, l’exposition invitant déjà au dialogue plusieurs pairs toutes générations confondues, comme Débora Delmar, Sylvie Fleury, Raymond Hains, Thomas Hirschhorn, Christophe de Rohan Chabot ou encore Ghita Skali.
Matthieu Laurette : une rétrospective dérivée (1993-2023), au MAC VAL, Vitry-sur-Seine, jusqu’au 3 mars.
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Author : Ingrid Luquet-Gad
Publish date : 2024-02-18 07:00:00
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