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Berlinale 2024 : « Une famille », le premier film fulgurant de Christine Angot

Berlinale 2024 : « Une famille », le premier film fulgurant de Christine Angot



C’est dans un état d’extrême tension politique qu’a débuté la 74eme édition du festival de Berlin. En amont de la manifestation, de lourds cumulus s’amoncelaient. D’abord, la pétition Strike Germany appelait au boycott des institutions culturelles berlinoises en raison d’un clause enjoignant tous les bénéficiaires de fonds public de la ville à ne pas tenir de propos critiques sur la politique d’Israël. Alors même que la Berlinale affirmait ne pas être soutenue par la ville mais par le gouvernement fédéral allemand, et donc ne pas être touchée par cette clause, et que la clause elle-même a été suspendue (car jugée anticonstitutionnelle), deux cinéastes (le Ghanéen Ayo Tsalithaba et l’Indo-Américain Suneil Sanzgiri) retiraient leur films de la section Forum expended.

Autre sujet de tension : la fin de mandat du duo à la tête de la Berlinale depuis cinq ans, Mariette Rissenbeek (directrice générale) et Carlo Chatrian (directeur artistique). La première ayant choisi de prendre sa retraite à la fin de ce mandat, le second, comme il l’évoquait dans un entretien récent dans Les Inrocks, envisageait de continuer son travail de sélection des films avant de comprendre « que cette place de directeur artistique ne m’était plus garantie« . Le travail effectué par Carlo Chatrian, son goût pour les formes de cinéma un peu audacieuses (certes panaché par des choix plus consensuels) a pourtant donné une vigueur artistique nouvelle au festival. La nomination à la tête de la Berlinale de l’américaine Tricia Tuttle (qui a dirigé le festival de Londres, peu connu pour son travail de défrichage) est, selon l’analyse de médias allemands, un signe envoyé en direction des majors hollywoodiennes et la promesse d’un travail accru pour muscler en stars les red carpet.

Actions antifascistes

Et c’est justement sur le premier red carpet, celui de la cérémonie d’ouverture jeudi dernier, qu’a eu lieu un nouveau feu croisé de critiques et de protestations. Le protocole du festival incluant l’attribution de places à chaque élus locaux, le parti d’extrême droite l’ADD disposait de cinq fauteuils. Les prises de position récentes de l’AFD sur l’expulsion de citoyens allemands d’origine étrangère ont généré à l’intérieur même du festival la remise en cause de ces invitations, finalement annulées par la direction du festival. A quelques mètres du palais du festival, une manifestation affichait le slogan : « No seats for fascists everywhere« , tandis que sur le tapis rouge, certains invités, comme le mannequin sénégalais Papis Loveday, suprêmement élégant dans une robe longue écrue, affichaient des pancartes anti AFD. « Je suis curieuse de voir comment les artistes réagissent au monde dans lequel nous vivons et nous permettent de le comprendre » a déclaré la présidente du jury Lupita Nyong’o. De fait, durant ces deux premiers jours de festival, c’est plutôt autour que dans les films qu’ont eu lieu les réactions les plus significatives et les réponses les plus vives à la forme que prend le monde.

Road-movie lénifiant

Ce n’est en tout cas le premier film découvert à notre arrivée, Treasure de Julia Von Heinz, présenté de toute façon hors-compétition, qui pourra satisfaire les critères énoncés par la présidente du jury. Pourtant, cette découverte de la Pologne par une jeune femme juive new-yorkaise accompagnée de son père sur les traces de sa généalogie familiale dans l’immédiat après-Perestroïka aurait pu donner lieu à une réflexion historique puissante. Mais en dépit d’une scène forcément impressionnante tournée à Auschwitz, le coup de sonde sur la mémoire à la fois d’une famille et d’un peuple tourne court, étouffé par un remake soap mécanique et éprouvant de Toni Erdmann (Maren Ade, 2016), entre un vieux père caricaturalement dionysiaque (pitre, dragueur, fêtard) et une grande fille lourdement névrosée (sentimentalement esseulée, souffrant de troubles alimentaires, inapte au plaisir). La fille en question, c’est Lena Dunham, également productrice du film. On mesure finalement qu’on l’a très peu revue depuis la fin de Girls, à jamais une des œuvres les plus marquantes de la décennie passée. Tout au plus se souvient-on de son apparition inquiétante dans la Manson Family d’Il était une fois Hollywood. Elle nous a manqué. Mais on aurait préféré la retrouver dans un contexte mieux adapté à son immense talent.

Dystopie geignarde

Gael Garcia Bernal aussi, on aurait préféré le retrouver ailleurs que dans Another End de l’italien Piero Messina, co-prod européenne hors-sol où l’on croise aussi Bérénice Bejo et Renate Reinsve (la merveilleuse interprète de Julie en douze chapitres). Présenté en Compétition, le film est la version oversize d’un épisode de Black Mirror, où l’identité des personnes mortes est greffée dans les corps-hôtes de personnes volontaires pour que les proches des disparus puissent accomplir leur travail de deuil. Le film s’embrouille dans des histoires de trafic de corps humains et des problèmes éthiques très peu problématisés et croule sous un nappage mélodramatique poids-lourd.

Premier choc

C’est un documentaire français qui constitue le premier choc émotionnel du festival : Une famille, première réalisation de l’écrivaine Christine Angot. Le film, présenté dans la section Encounters, s’inscrit dans les pas de son dernier livre, Le Voyage dans l’est. Invitée à Strasbourg pour en assurer la promotion, l’autrice décide de rencontrer la famille de son père, accompagnée d’une caméra et deux personnes pour filmer l’entrevue. La scène d’ouverture est un impressionnant dialogue entre Christine Angot et l’épouse de son père (disparu plus de vingt ans plus tot) au domicile de cette dernière. A la mise en cause de l’écrivaine, victime de viols répétés par son père, l’épouse oppose une écoute mi-compatissante mi-suspicieuse d’une violence inouïe. A partir de ce non-dialogue, le film trame un matériau hétéroclite, fait de documents personnels (photos de familles, films anciens au camescope) et de dialogues avec des proches (sa mère, son ex-mari, sa fille, son compagnon actuel…) et ausculte toutes les paroles qui ont été posées ou retenues sur ce récit. Une famille saisit par la nécessité extrême que trouve Christine Angot à donner une forme cinématographique à une matière qu’elle avait jusque-là modelée seulement par la littérature. Filmer des échanges avec ses proches fait jaillir des mots jusque là ravalés et des situations de vie qui n’adviennent que par l’étrange chimie émotionnelle que produit la caméra. Une famille sera distribuée en France le 20 mars prochain. Nous y reviendrons longuement dans notre numéro daté de mars.



Source link : https://www.lesinrocks.com/non-classe/berlinale-2024-une-famille-le-premier-film-fulgurant-de-christine-angot-610114-18-02-2024/

Author : jeanmarclalanne

Publish date : 2024-02-18 00:59:53

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