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Arcom-CNews : le véritable enjeu pour nos médias n’est pas tant le pluralisme que la qualité

C’est sur la chaîne d’information CNews, propriété du groupe Vivendi, qu’Eric Zemmour a assis sa notoriété.




Nouvel épisode dans la “bataille de l’impartialité”, la récente décision du Conseil d’Etat enjoignant l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de mieux contrôler le pluralisme des médias audiovisuels défraie depuis quelques jours la chronique. En novembre 2021, RSF avait demandé à l’Arcom de mettre en demeure la chaîne CNews pour manquements à ses obligations légales d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information. Ayant reçu une réponse négative de l’organe de régulation, RSF avait alors déposé un recours auprès du Conseil d’Etat, qui vient d’ordonner à l’Arcom de s’exécuter. Son directeur, Roch-Olivier Maistre, s’est récemment exprimé dans La Tribune pour préciser que la demande du Conseil d’Etat, celle que l’Arcom tienne compte des interventions de “l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités”, ne reviendrait pas à catégoriser étroitement ces participants mais à exercer une “appréciation globale sur l’ensemble des programmes diffusés”. L’éléphant pourrait bien accoucher d’une souris, ou plutôt d’une usine à gaz inutile.Faut-il y voir une décision partisane, comme certains commentateurs le supposent ? Cela semble peu probable dans la mesure où la décision du Conseil d’Etat ne s’applique pas qu’à CNews mais à l’ensemble des médias audiovisuels, publics et privés. En revanche, l’épisode s’avère révélateur du malaise grandissant de nos institutions vis-à-vis des médias et de leur mission.Nous payons le prix d’une liberté de circulation des idées inédite à l’échelle de l’humanité. De la presse écrite aux réseaux sociaux en passant par les chaînes audiovisuelles, jamais le lecteur, l’auditeur et le téléspectateur n’ont eu accès à autant de nouvelles, d’informations et d’opinions. Il y a cinquante ans, la suppression de l’ORTF, partie intégrante du mouvement de libéralisation giscardien, venait répondre au besoin de pluralisme de la société française. Corsetée, paternaliste et verticale, l’information, comme le notait Alain Peyrefitte dans Le Mal français, “manqu[ait] de crédit dans la nation” parce que “chacun croyait entendre moins la ‘voix de la France’, que celle du gouvernement”. Cinquante ans plus tard, le pluralisme se trouve théoriquement à son plus haut. Théoriquement, car il s’agit davantage d’un pluralisme de juxtaposition plus que de confrontation, où les chaînes privées penchent à droite et les publiques à gauche, où chaque émission applique sa propre conception de l'”arc républicain”, et où les styles, de France Culture à TikTok, s’avèrent extrêmement variés.Or cette variété ne se vit pas comme une richesse mais comme une source de tensions : la France, comme toutes les démocraties libérales, connaît une sorte de crise de l’abondance médiatique, dont les trois manifestations principales sont la combinaison de la surproduction et de la surconsommation, l’opposition grandissante entre un journalisme de rééducation et un journalisme de confirmation, et la juridicisation de la fabrication de l’information.Toute situation d’abondance amène avec elle des difficultés particulières. A l’ère de l’”infobésité”, un terme laid mais tristement vrai, les producteurs de “contenus” nous suralimentent, aucune limite ne semblant plus s’imposer à cette profusion. Il y a trop de programmes, trop de nouvelles, trop de débats, partout, tout le temps. Ils zappent d’un sujet à un autre ou se montrent obsessionnellement monothématiques. Pour les remplir, il faut aller vite, travailler superficiellement et faire participer des chroniqueurs couteaux suisses qui s’y connaissent en tout, c’est-à-dire en rien. Même le débit de parole des journalistes audiovisuels s’accélère à la limite du soutenable. Résultat, nous consommons trop et mal une junk information riche en satisfaction de court terme, tout en nous retrouvant privés d’une denrée pourtant indispensable à la santé du débat public, le temps – celui d’écouter, de réfléchir, de discuter, et même de dormir.Les avancées technologiques qui ont rendu possible ce journalisme perpétuel ont également contribué à faire émerger deux nouvelles tendances. Traditionnellement, deux types de médias coexistent dans les démocraties libérales, ceux qui rapportent les faits et ceux qui prennent position sur ces derniers – même si bien évidemment, tels le yin et le yang, chacun abrite nécessairement en son sein une dose de l’autre. Or depuis quelques années, à partir de ces deux types, deux autres formes audiovisuelles ont émergé puis se sont renforcées.L’une, tendanciellement publique, encouragée par l’entre-soi d’une élite idéologiquement uniforme effrayée par la “droitisation” de la France, vise à éduquer et même rééduquer les masses. L’autre, en réaction à cette dernière, essentiellement présente dans les chaînes privées, vise à faire entendre l’opinion brute des “gens ordinaires”, et partant à la justifier. D’un côté, la “rééducation”, le modèle de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, qui a pu déclarer lors d’une audition à l’Assemblée nationale que France Télévisions “essaie de représenter la France telle qu’on voudrait qu’elle soit”. De l’autre, la “justification”, le modèle de la chaîne CNews, dont la devise, “Venez avec vos convictions, vous vous ferez une opinion”, parle d’elle-même. Deux courants qui trouvent leur prolongement respectif sur les réseaux sociaux, et qui ne cessent de s’empailler non seulement sur les questions de société mais sur leur légitimité respective.Face à ce brouhaha, nos institutions embarrassées n’ont trouvé comme solution que celle de la régulation ou de la sanction, incarnées par l’Arcom ou l’autorité judiciaire, et s’arrachent les cheveux pour savoir comment réguler la “haine” tout en préservant la “liberté d’expression”.Or dans ce triple contexte, la grande perdante ne s’avère pas tant la pluralité des points de vue et des opinions, largement et même trop servie, que la qualité de leur expression. La surinformation obsessionnelle empêche la bonne vérification des faits et l’analyse approfondie, tout en appauvrissant le langage employé. La rééducation et la justification se font au mépris de la recherche de la vérité, de l’expertise et de la nuance. Le réflexe régulateur produit du conformisme et de l’autocensure. En définitive, l’information audiovisuelle se transforme en une vaste rumination collective dont on ressort sans doute plus bête qu’on y était entré.D’aucuns répondraient que le public est libre d’écouter et de regarder ce qu’il souhaite. Mais pour être vraiment libre, encore faudrait-il qu’il ait le choix de la qualité. En d’autres termes, ceux qui dirigent les chaînes françaises devraient s’efforcer de nous offrir autre chose que de la médiocrité. Cela supposerait, pour le service public, d’abandonner la rééducation pour l’éducation tout court. Et pour les chaînes privées, de ne pas se contenter du relativisme de l’opinion personnelle. La (trop longue) devise d’un média audiovisuel digne de ce nom pourrait donc devenir, dans ce contexte, la suivante : “Venez avec vos convictions, nous tenterons de vous montrer la France telle qu’elle est, et vous pourrez en tirer non pas une opinion, mais un jugement”.



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Author : Laetitia Strauch-Bonart

Publish date : 2024-02-19 18:22:08

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Tags :L’Express

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