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Berlinale 2024 : Avec le très beau “Dahomey”, Mati Diop fait rêver les statues

Berlinale 2024 : Avec le très beau “Dahomey”, Mati Diop fait rêver les statues



Les statues meurent aussi postulaient Alain Resnais et Chris Marker dans un court métrage de 1953 (intitulé ainsi) s’interrogeant opportunément sur la présence de l’art africain au Musée de l’Homme alors que l’art égyptien était exposé au Louvre. Resnais, Marker et Ghislain Cloquet (grand chef op, notamment de Jacques Demy, qui a coréalisé le film) auscultait la profonde déconsidération dont était l’objet l’art africain, le racisme inhérent à un tel partage et toute l’histoire du colonialisme qui en procédait. Pour porter une telle interrogation en 1953 (un an après le début de la guerre d’Algérie), Les statues meurent aussi a été frappé d’interdiction pendant 10 ans. C’est aussi d’histoire coloniale, de muséographie, de racisme et de statues dont il est question dans le documentaire tout aussi beau de Mati Diop, Dahomey.

Les statues meurent donc. Mais elles peuvent aussi revivre. Le miracle de cette ressuscitation, c’est ce que raconte Dahomey, le très beau film de Mati Diop présenté dimanche 18 février en compétition. Le Dahomey est un ancien royaume africain, situé dans l’actuel Bénin. À la fin du XIXe siècle, les troupes françaises y ont pillé de nombreuses œuvres. En novembre 2021, la France a accepté de restituer ces 26 pièces au Bénin. Du Musée du Quai Branly, où elles sont exposées avant leur retour, au Palais Présidentiel à Cotonou qui célèbre leur retour, Mati Diop s’invite au voyage et conçoit son film comme un fascinant carnet de route, du point de vue (magique) des œuvres elles-mêmes, détaillant les émotions, les rêveries, les pensées secrètes de ces statues royales mi-homme mi-animal. Les statues parlent donc, dans une langue poétique élaborée par l’écrivain haïtien Makenzy Orcel (finaliste du Goncourt en 2022 pour Une somme humaine) et avec une énonciation ralentie, vocodorisée et sépulcrale (presque à la Dark Vador). Des forces de l’esprit sourdent avec elles de la terre et la cinéaste d’Atlantique (2019, Grand Prix au Festival de Cannes) nous invite à une migration des âmes (et pas seulement des pierres).

Incantation des statues

Les statues ne font pas que parler. Elles libèrent d’autres paroles aussi. À l’université de Cotonou, des étudiant·es débattent avec fièvre de cette restitution. Les questions fusent. Certain·es en créditent le président Patrice Talon. D’autres protestent. Plusieurs personnes interrogent le sens de cette sélection de 26 objets au regard de la somme de tout ce qui a été volé. Le mot “insulte” est lâché. Le film opère par courts-circuits, entre les séquences poétiques et hantés de voyage du point de vue des objets et ces jaillissements de vie, de colère et d’idées portées par la jeunesse béninoise. Mais il opère aussi par saisissants contrepoints, comme ce plan du documentaire à la précision et l’éloquence implacables, sur la logistique de la restitution où une quinzaine de jeunes hommes noirs font avancer une caisse sur un escalier tandis que deux hommes blancs qui ne portent rien leur expliquent comment procéder. Aussi vigoureux politiquement qu’inspiré poétiquement, Dahomey est à ce stade le plus beau film du festival.

Envahis, confinés

Deux autres films français étaient présentés en compétition ce week-end : L’Empire de Bruno Dumont et Hors du temps d’Olivier Assayas. Avec L’Empire, Bruno Dumont prolonge la greffe opérée dans Coincoin et les Z’inhumains entre une certaine monumentalité naturaliste qui lui est propre (la lande caillouteuse et les ciels sombres nuageux de la Côte d’Opale en scope) et un genre de SF burlesque très BD. Livré par à-coups à l’excentricité sans rêne de Fabrice Luchini, quelque part entre Alfred Jarry et les Monty Python, le film est probablement ce que le cinéma de Bruno Dumont a produit de plus perché. Il sort mercredi 21 février en France, on y revient ici longuement.

Ce n’est pas une invasion extraterrestre que craignent les protagonistes du nouveau film d’Olivier Assayas mais d’une contamination par Covid. Le film nous replonge au printemps 2020, lorsqu’en France comme dans beaucoup de pays du monde, la vie s’est rétractée pour chacun·e entre les quatre murs de son domicile. C’est dans une maison familiale en vallée de Chevreuse que le cinéaste a passé ses mois de confinement, avec sa compagne, son frère journaliste musical (Michka Assayas) et la nouvelle compagne de celui-ci. Le film relate cette cohabitation à la fois délectable, joyeuse et parfois difficile, lorsque les névroses de chacun sont amplifiées par la peur de l’épidémie, la claustration et les risques sanitaires. Le charme du film est de donner à voir ce que ce passé proche a déjà de fondamentalement étrange, la sidération à avoir vécu ça, et la rapidité avec laquelle collectivement cette expérience a été refoulée, comme si elle n’avait pas eu lieu. Si loin, si proche, c’est le sentiment mixte ressenti à l’observation de ces bourgeois·es cultivé·es reclus·es sur les lieux de leur enfance. Si Hors du temps s’inscrit dans une certaine lignée de l’œuvre polymorphe d’Olivier Assayas, celle de la chronique familiale ou amicale, où il est question d’héritage et de transmission (Fin août, début septembre, L’heure d’été), le film ne retrouve hélas presque jamais la profondeur tchekhovienne de ces précédentes réussites. Quelque chose ne dépasse jamais l’anecdote dans cet exercice introspectif et la replongée à un âge avancé dans la cohabitation fraternelle se réduit à des petites chamailleries inégalement drôles.

Kristen & Lars

Par un amusant hasard de calendrier, deux acteur·ices étranger·ères néanmoins familier·ères de l’œuvre d’Olivier Assayas présentaient aussi un film à Berlin ce week-end : Kristen Stewart et Lars Eidinger (tous deux jouent dans Sils Maria et Personal Shopper). Kristen Stewart avait adoré le premier film de la Britannique Rose Glass, le thriller horrifique Sainte Maud (2019) et a voulu tourner le suivant, Love Lies Bleeding. Elle y interprète la manageuse d’une salle de muscu qui tombe follement amoureuse d’une body buildeuse (l’excellente Katy O’Brian) et se retrouve entraînée dans les péripéties d’un film noir sanglant, queer et anti patriarcal. Farce macabre outrée, Love Lies Bleeding est assez amusant, comporte quelques belles trouées imaginaires (comme une transformation en géante à la façon de l’anthologique série télévisée Hulk) mais s’enferre dans son dernier tiers dans un systématisme de la cruauté un peu trop ricanant.

Comme Kristen Stewart dans Love Lies Bleeding, Lars Eidinger est génial dans Sterben. Présentée en compétition, cette fresque familiale de trois heures est signée Matthias Glasner, cinéaste allemand quasi inconnu en France et qui n’avait pas tourné pour le cinéma depuis douze ans. Dans une narration chapitrée par personnage, on accompagne un couple senior dans son naufrage existentiel (le père vit les derniers instants d’une maladie de Parkinson, la mère est malade, progressivement incontinente..). On flirte avec une forme de “sénescence porn” parfois gênante). Mais aussi le mal de vivre de leurs deux enfants quadragénaires (fils névrosé, fille alcoolique). On pense parfois au Desplechin d’Un conte de Noël dans la gourmandise avec laquelle le film théâtralise toutes les facettes de la toxicité familiale (comme dans le film de Desplechin, une mère et un fils se disent très calmement toute leur haine). Mais dans une forme moins métaphysique, plus boulevardière. Très maîtrisé formellement, mais assez roublard, presque grossier, dans ses effets, le film bénéficie surtout d’interprètes brillant·es, Lars Eidinger donc, mais aussi Anna Bederke qui joue sa sœur. L’un et l’autre pourraient bien figurer au palmarès samedi prochain.



Source link : https://www.lesinrocks.com/cinema/berlinale-2024-avec-le-tres-beau-dahomey-mati-diop-fait-rever-les-statues-610118-19-02-2024/

Author : jeanmarclalanne

Publish date : 2024-02-19 19:07:04

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