Micheline Presle était populaire, sans doute en grande partie grâce au rôle d’Eve Lagarde qu’elle interpréta pendant six ans aux côtés de Daniel Gélin dans la série télévisée Les Saintes chéries, entre 1965 et 1971. Elle avait accédé à la célébrité alors qu’elle n’avait que 17 ans.
Elle aimait dire qu’elle était une vraie parisienne, née comme ses parents dans le 5e arrondissement qu’elle adorait, même si ses ancêtres étaient des paysans bourguignons et du Cher. Sa mère était artiste peintre, son père « un peu mythomane », comme elle le disait elle-même, avait dû fuir la France et divorcer de sa mère pour avoir été mêlé à des affaires pas très nettes dont elle ne savait au fond pas grand-chose elle-même.
Dès ses huit ans, elle avait décidé qu’elle serait actrice. Elle avait débuté en jouant vaguement, en 1937, dans La Fessée, une comédie réalisée par un certain Pierre Caron, avec Albert Préjean et Claude Dauphin sur un scénario de Jean Nohain (frère de Dauphin). Elle avait donc 15 ans et portait encore son vrai nom de famille : Chassagne. Micheline Chassagne. Mais elle ne considérait pas ce film comme son premier film, parce qu’elle y était plus ou moins figurante et qu’elle l’avait tourné pendant les vacances scolaires.
Pour Micheline Presle, son premier film était Jeunes filles en détresse de Georg Wilhelm Pabst (1939), cinéaste viennois issu du muet très connu (La Rue sans joie avec Greta Garbo et bien sûr Loulou avec Louise Brooks !). Dans ce film, pour lequel elle avait passé un casting alors qu’elle était élève du cours Raymond Rouleau (grand acteur de l’époque), elle incarne une jeune fille nommée Jacqueline Presle, nom qu’elle va prendre pour pseudo. Micheline Presle est née là. Elle gardait un très bon souvenir de la gentillesse de Pabst et du regard qu’il posait sur elle. Elle avait l’impression qu’il lui avait transmis quelque chose d’indéfinissable.
Pendant la guerre et sous l’Occupation, elle tourne beaucoup, et avec tous les réalisateurs de renom qui n’ont pas quitté la France : Georges Lacombe, Abel Gance (Paradis perdu, mélo qui fit couler beaucoup d’yeux où elle joue deux rôles : celui de sa mère puis de la fille vingt ans plus tard, avec Fernand Gravey pour partenaire), Marcel Lherbier, Marc Allégret (trois films). Elle tourne beaucoup en zone libre et ne travaillera jamais avec la Continentale, la compagnie de cinéma allemand.
En 1944, Micheline Presle tourne dans Falbalas, le troisième film d’un jeune cinéaste nommé Jacques Becker, qui fut l’assistant de Jean Renoir. Falbalas est un film sublime sur le milieu de la mode (les costumes sont de Rochas), mais aussi sur la beauté, le donjuanisme, le fétichisme d’un créateur de mode (Raymond Rouleau), d’un pygmalion froid qui tombe soudain amoureux de la future femme de son meilleur ami. Micheline Presle aimait beaucoup Becker et ce film, dont elle avait tout de suite saisi la modernité. Le film est un échec avant de devenir un culte pour les cinéphiles (et un couturirer comme Jean-Paul Gaultier, qui a toujours dit que sa vocation lui était venu en partie pas sa vision, enfant, de Falbalas).
La fin des années 40 va lui apporter de beaux rôles et la rendre très célèbre, voire même puissante (elle peut déjà imposer ses choix, alors qu’elle n’a que 25 ans) avec notamment Boule de suif d’après la nouvelle éponyme et Mademoiselle Fifi, toutes deux de Maupassant, un film de Christian-Jaque. Presle ne correspond pas au personnage de Maupassant (elle est censée être petite, rondouillarde et rouge comme une pomme), mais elle a de « l’abattage », comme on dit au théâtre de boulevard, du caractère. Micheline Presle, comme Deneuve ving ans plus tard, parle très vite, avec un léger accent parigot.
Dans Boule de suif de Christian-Jaque (capture d’écran)
Et surtout, en 1947, Le Diable au corps de Claude Autant-Lara, d’après le roman de Radiguet, avec Gérard Philipe pour partenaire – elle a dû se battre pour réussir à l’imposer à Autant-Lara et ses célèbres scénaristes qu’étaient Aurenche et Bost (qui seront les premières victimes de François Truffaut dans son brûlot « Une certaine tendance du cinéma français », publié dans les Cahiers du cinéma, virulente diatribe contre le scénaristes français). Ce rôle lui vaut de remporter la Victoire du cinéma français de la meilleure actrice, même si le film soulève un scandale, comme le roman dont il est issu au moment de sa parution. La « morale » est une fois de plus attaquée : comment peut-on célébrer une histoire d’amour entre une femme dont le mari est prisonnier et un adolescent ?
A la fin des années 40, elle quitte la France pour les Etats-Unis. L’espace de deux ans. Elle va s’y marier avec un homme pour lequel Michèle Morgan avait quitté Jean Gabin, un producteur, réalisateur et acteur nommé Bill (William) Marshall, avec lequel Morgan avait eu un fils, Mike Marshall. Presle et Marshall se marient en 1950, Tonie Marshall naît en 1951, mais le couple divorce en 1954 (par la suite, Bill Marshall épousa Ginger Rogers…).
Presle ne reste que deux ans aux Etats-Unis, sous contrat à la 20th Century Fox. Seul film notable : un film de guerre qui se déroule dans les Philippines, Guérillas de Fritz Lang (quand même !), en 1950, avec Tyrone Power. Elle s’y exceptionnellement brune.
Avec Tyrone Power dans Guérillas de Fritz Lang (capture d’écran)
Quand elle rentre en France, tout le monde l’a oubliée, elle a perdu toute influence… Les années 50 vont être moins florissantes. Hormis un petit rôle (celui de Mme Pompadour) en 1953 dans Si Versailles m’était conté de Sacha Guitry et, la même année, L’Amour d’une femme de Jean Grémillon dans un rôle plus important.
Elle tourne des films qu’elle avait refusé de tourner avant de quitter la France (La Dame aux camélias de Raymond Bernard, par exemple), et on confie à d’autres des rôles qui l’intéressaient (Le Rouge et le noir d’Autant-Lara). D’autres projets tombent à l’eau (Mme Bovary). Elle ne retrouvera jamais la gloire prodige qui était la sienne à la fin des années 40.
En 1962, elle joue dans le sketch de Jacques Demy sur la luxure dans : Les Sept Péchés capitaux (le sketch « La Luxure », réalisé par Jacques Demy), où joue aussi Jean-Louis Trintignant. Demy fait à nouveau appel à elle quand il tourne Peau d’Âne en 1969-70, où elle joue le rôle de la reine rouge (la mère du prince joué par Jacques Perrin).
Et en 1973, elle est le Dr Delavigne, gynécologue, qui annonce à Marcello Mastroianni qu’il est sans doute enceint de Catherine Deneuve dans L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune !
Marcello Mastroianni, Catherine Deneuve et Micheline Presle dans L’événement le plus important depuis que l’homme a posé le pied sur la Lune de Jacques Demy (capture d’écran)
Comme Danielle Darrieux, Micheline Presle rencontre le cinéaste Paul Vecchiali, amoureux des deux actrices et grand spécialiste du cinéma français des années 30 et fondateur, en 1976, de Diagonale, qui va produire les films de Jean-Claude Biette, Jean-Claude Guiguet, Marie-Claude Treilhou, Nelly Kaplan, etc. etc. En 1976, Micheline Presle joue dans Néa de Nelly Kaplan (décédée en 2020). En1983, sous la direction de Vecchiali, elle joue dans l’un des pus beaux films du cinéastes, En haut des marches, avec Darrieux, Hélène Surgère et Françoise Lebrun. Puis en 1993, dans un autre film de Vecchiali, Point d’orgue. Elle tourne aussi dans Alouette, je te plumerai de Pierre Zucca, aux côtés de Claude Chabrol, devenu acteur l’espace d’un film, et qui l’avait fait tourner dans Le Sang des autres en 1984.
En 1989, elle est nommée au César du meilleur second rôle féminin dans I Want to Go Home d’Alain Resnais.
Micheline Presle est sollicitée par eux jeunes cinéastes qui ont travaillé comme assistants des cinéastes de Diagonale, qui vont malheureusement tous les deux mourir du sida. On la voit donc dans les films de Gérard Frot-Coutaz et de Jacques Davila – des cinéastes avec lesquels Claude Piéplu a aussi beaucoup travaillé. Tonie Marshall, en tant qu’actrice, est souvent elle aussi de la partie. On voit Presle donc dans Certaines nouvelles (1976) et Qui trop embrasse (1986) de Jacques Davila (1941-1991).
Dans Beau temps mais orageux en fin de journée (1986) et Après après-demain (1990) les deux longs-métrages de Gérard Frot-Coutaz (1951-1992), des comédies très stylisées, antinaturalistes, un cinéma de marivaudage qu’Eric Rohmer soutient par un texte inattendu dans les Cahiers du Cinéma au moment de la sortie de La Campagne de Cicéron de Davila.
Avec Claude Piéplu dans Beau temps mais orageux en fin de journée de Gérard Frot-Coutaz (capture d’écran)
Biette (Saltimbank), Danièle Dubroux (Le Journal d’un séducteur, en 1994) font eux aussi appel à elle.
On la voit également dans les films de Tonie Marshall, sa fille : Pas très catholique (1994), Vénus Beauté (institut) en 1999 (seul film réalisé par une femme à avoir remporté le César du meilleur film à ce jour), France Boutique (2003), Tu veux ou tu veux pas (2014)…
Côté cinéma plus commercial, reconnaissons à Gérard Jugnot l’ intelligence de l’avoir fait jouer dans deux de ses films : Casque bleu (1994) et Fallait pas !… en 1996.
En 2004 (elle n’avait « que » 82 ans), elle avait reçu un César d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. Elle qui a tout au long de sa vie fréquenté beaucoup les cinémas (jusqu’au tournant du millénaire, elle y allait tous les jours), vivait dans l’immeuble voisin du Studio des Ursulines, dans le 5e arrondissement de Paris et cette rive gauche qu’elle aimait tant. Tonie Marshall (qui est décédée en 2020) avait raconté que les Ursulines était presque pour elle une seconde maison lorsqu’elle était enfant.
En 2009, Micheline Presle tournait encore dans Plein sud de Sébastien Lifshitz.
Son gendre, Olivier Bomsel, a annoncé aujourd’hui sa mort à l »AFP : « Micheline s’est éteinte paisiblement, à la Maison nationale des artistes de Nogent-sur-Marne » dans le Val-de-Marne.
Toute sa vie – au moins jusqu’au jour où elle dut quitter son 5e chéri – Micheline Presle resta une jeune femme pleine de curiosité pour ce qui se passait dans le cinéma, au théâtre : c’était une actrice à la fois dynamique, énergique et souriante, avec un beau regard qui pouvait se faire noir à l’occasion et des lèvres bien ourlées. Quand elle jouait les bourgeoises, elle avait ce geste si caractéristique qui consiste à se recoiffer d’un geste bref de la main pour faire bouffer ses cheveux, avec un petit sourire narquois pour marquer la distance. Elle avait la classe. Le « chic » parisien.
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Author : Jean-Baptiste Morain
Publish date : 2024-02-21 19:32:59
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