Si vous ne connaissez pas encore Junji Ito, le portrait placide qui orne la jaquette intérieure risque d’endormir votre méfiance. On pourrait le croire en train de mener une vie paisible avec un métier inoffensif. D’ailleurs, ce sexagénaire a été prothésiste dentaire au début de sa carrière, avant que sa part sombre ne l’emporte sur le reste.
Depuis le succès de sa série Tomié et son personnage d’adolescente qui revient à la vie malgré les meurtres dont elle est victime, Junji Ito est devenu un pourvoyeur de frissons inégalé, un maître en matière de manga d’horreur. Là où d’autres (comme Gō Tanabé et ses adaptations de Lovecraft) excellent dans le fantastique baroque, lui transforme le quotidien en matière cauchemardesque grâce aux décalages qu’il crée, simples interstices qui finissent par être des gouffres.
Dans cette anthologie, parfaite introduction à son œuvre monstrueuse, les histoires réunies paraissent, au départ, empreintes de banalité. Il y a une chanteuse qui s’égosille dans la rue avec sa guitare et accède à la célébrité, un couple qui hérite d’une bibliothèque ou une ado victime de troubles alimentaires. Mais très vite, les situations basculent dans l’irrationnel et on tremble en tournant les pages. Junji Ito a un pouvoir diabolique, celui de nous projeter dans un invraisemblable devenu crédible grâce à son dessin qui, délicat et gracieux, donne chair à tout ce qui lui passe par la tête.
Dans sa préface, Luz, fan récent mais totalement en adoration, évoque “ces minuties graphiques qui vous attrapent l’œil, vous glacent le sang” et écrit toute son admiration pour l’obsession de Junji Ito à aligner les traits qui font naître l’horreur. Carnage contient d’ailleurs un récit qui fascine l’auteur français, Lipidémie, avec son intrigue graisseuse et ses images aussi dégoûtantes qu’obsédantes. L’inédit Stratophobie clôt le volume avec son idée glaçante : suite à une malédiction, une jeune fille est née sans squelette ni organes, juste des épaisseurs de peau superposées.
Carnage de Junji Ito (Mangetsu), traduit du japonais par Anaïs Koechlin, 400 p., 24,95 €. En librairie.
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Author : Vincent Brunner
Publish date : 2024-02-23 07:00:00
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