C’était une prise de parole attendue et qui est arrivée vite. 45 minutes seulement après le début de la 49ème cérémonie des César, la réalisatrice et actrice Judith Godrèche est montée sur scène sous les applaudissements du public pour livrer un discours puissant. “C’est compliqué de me retrouver devant vous tous ce soir, vous êtes si nombreux. Mais dans le fond j’imagine qu’il fallait que ça arrive, nos visages face à face, les yeux dans les yeux, a-t-elle lancé en introduction, c’est un drôle de moment pour nous, non? Une revenante des Amériques qui vient donner des coups de pied dans la porte blindée. Qui l’eut crû?”
Judith Godrèche a poursuivi en interpellant cette “curieuse famille” du cinéma: “Depuis quelques temps, la parole se délie, l’image de nos pairs idéalisés s’écorche, le pouvoir semble presque tanguer. Serait-il possible que nous puissions regarder la vérité en face? Prendre nos responsabilités? Être les acteurs, les actrices d’un univers qui se remet en question? Depuis quelque temps, je parle, je parle mais je ne vous entends pas. Ou à peine. Où êtes-vous? Que dites-vous? Un chuchotement, un demi-mot, ça serait déjà ça dit le Petit Chaperon rouge.”
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La réalisatrice a ensuite dénoncé l’omerta dans le milieu du cinéma et encouragé ses pairs à la briser: “Je sais que ça fait peur, perdre des subventions, perdre des rôles, perdre son travail. Moi aussi, moi aussi, j’ai peur. J’ai arrêté l’école à 15 ans, j’ai pas le bac, rien, ce serait compliqué d’être blacklistée de tout, ce serait pas drôle, errer dans les rues de Paris dans mon costume de hamster me rêvant en icon of french cinema. Dans ma rébellion, je pensais à ces termes qu’on utilise sur un plateau: silence, moteur demandé. Ça fait maintenant 30 ans que le silence est mon moteur. J’imagine pourtant l’incroyable mélodie que nous pourrions composer ensemble, faite de vérités. Ça ne ferait pas mal, je vous promets. Juste une égratignure sur la carcasse de notre curieuse famille. C’est tellement rien comparé à un coup de poing dans le nez, à une enfant prise d’assaut comme une ville assiégée par un adulte tout-puissant sous le regard silencieux d’une équipe, à un réalisateur qui, tout en chuchotant, m’entraînent sur son lit sous prétexte de devoir comprendre qui je suis vraiment. C’est tellement rien comparé à 45 prises avec deux mains dégueulasses sur mes seins de 15 ans.”
Puis Judith Godrèche a dénoncé les violences systémiques dans le milieu du cinéma: “Pourquoi accepter que cet art que nous aimons tant, cet art qui nous lie, soit utilisé comme une couverture pour un trafic illicite de jeunes filles. Parce que vous savez, cette solitude, c’est la mienne mais c’est également celles de milliers dans notre société. Et elle est dans vos mains. […] Nous pouvons décider que des hommes accusés de viols ne puissent pas faire la pluie et le mauvais temps dans le cinéma.”
Et de conclure sa prise de parole avec un avertissement magistral: “Il faut se méfier des petites filles, elles touchent le fond de la piscine, elles se cognent, elles se blessent mais elles rebondissent. Les petites filles sont des punks qui reviennent déguisées en hamster et pour rêver à une possible révolution, elles aiment se repasser ce dialogue de Céline et Julie vont en bateau [Ndlr: un film réalisé par Jacques Rivette en 1974]:
– Céline: ‘Il était une fois.
– Julie: Il était deux fois. Il était trois fois.
– Céline: Il était que, cette fois, ça ne se passera pas comme ça. Pas comme les autres fois.’”
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Author : Julia Tissier
Publish date : 2024-02-23 22:12:27
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