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MGMT : “Notre musique actuelle est la plus sincère et passionnante”

MGMT : “Notre musique actuelle est la plus sincère et passionnante”



Tout était là, dès le début, sans qu’on le sache. Nulle tromperie, pas de faux-semblants. Seule la présence certaine d’un esprit facétieux des plus affirmé, couplé à une authenticité manifeste, principaux caractères de la paire MGMT. Il suffit de tomber sur les archives pour le voir, étudier les vidéos amateur du début des années 2000 pour le croire, celles accessibles en quelques clics sur le net.

C’est ici que s’observent les premières démonstrations scéniques du duo, lorsque la formation se faisait appeler The Management, groupe monté par deux amis de fac aux délires un peu louches, animés par l’envie d’aller au bout de leurs idées et d’épater la galerie sans pour autant se renier.

Le portrait brut d’un tandem déluré

Entre les soirées étudiantes qui virent à l’absurde quand le thème principal de SOS Fantômes est joué en boucle, les performances survoltées et second degré à la Suicide dans de petites salles obscures de la côte Est des États-Unis et la prestation légendaire au cours de laquelle Ben Goldwasser et Andrew VanWyngarden reprennent en toute naïveté This Must Be the Place de Talking Heads sur leur campus du Connecticut, chaque séquence permet de retracer la genèse de MGMT et de dresser le portrait brut et sans détour de ce tandem déluré.

Aujourd’hui, ces extraits offrent la plus pure illustration de ce que renfermait déjà le duo américain, avant que son premier album, Oracular Spectacular (2007), et sa poignée de hits n’en fassent trop vite la coqueluche pop du moment. Mieux, ils valident ce que le fameux sigle à quatre lettres continue de promouvoir : rien n’est sérieux, tout est sincère. Ce n’est pas anodin si le maxi originel du groupe, publié à l’été 2004, s’intitule We (Don’t) Care.

Le choix de ponctuation ne devait rien au hasard. Il ouvrait au contraire la porte aux interpolations et à l’ambiguïté, aux interprétations et à la malice, sous couvert d’une large part d’innocence. MGMT n’a depuis jamais cessé de suivre cette ligne de conduite. Et comme tout autre disque du duo avant lui, Loss of Life vient de nouveau brouiller les pistes.

“Lorsque nous avons commencé, nous abordions les choses de manière beaucoup plus ironique. C’était plus de l’ordre du pastiche ou quelque chose de postmoderne, qui était dans l’air du temps au début des années 2000 et résonnait beaucoup sur notre campus à l’époque”, observe Andrew VanWyngarden, parolier, chanteur et guitariste au visage d’éternel adolescent, réuni mi-décembre avec son complice de toujours pour une conversation à distance.

Six ans de pause et une prise d’indépendance

“Même aujourd’hui, nous avons encore ce bagage en nous, mais nous l’utilisons comme s’il faisait partie de notre palette de jeu. Le fait d’avoir une carrière aussi longue – en général, la durée de vie des duos musicaux est assez brève [rires] – nous a permis de nous installer et d’exister dans un monde où nous pouvons jouer avec toutes sortes d’identités, sans nous soucier de savoir si nous correspondons toujours à ce qu’on peut attendre de MGMT.

Après vingt-deux ans d’amitié et deux décennies à faire de la musique ensemble, nous avons réussi à éviter beaucoup de pièges pour continuer à sortir certaines de nos meilleures chansons. Notre musique actuelle est la plus sincère et passionnante qu’il nous ait été donné de faire, nous en sommes fiers.”

Après la publication remarquée de Little Dark Age en février 2018, puis une imposante tournée autour du globe, presque six ans ont été nécessaires pour concevoir ce cinquième album. Six longues années, marquées par une pause bienvenue et savourée, suivie d’une pandémie – dont il n’est d’ailleurs nullement question sur le disque, préfèrent rassurer ses auteurs.

Dans ce laps de temps, MGMT en a profité pour lâcher quelques nouveautés : les très chouettes singles In the Afternoon (2019) et As You Move through the World (2020), l’un aux ressorts new wave, l’autre aux errances ambient, ou encore le disque live 11.11.11 (2022), tiré d’une performance inédite et publié officiellement onze ans jour pour jour après sa captation au musée Guggenheim de New York. Mais il y a une chose à souligner dans ces dernières sorties : aucune ne porte la marque du label Columbia. Ben et Andrew évoluent désormais en indépendants, dégagés entre-temps de l’obligation contractuelle qui les liait à la major depuis 2006.

Un saut temporel à la fin du siècle dernier

“Le fait d’être seuls maîtres à bord a été très libérateur. Pas seulement sur le plan artistique, car pour être honnêtes, nous avons toujours été libres de faire ce que nous voulions, mais plus sur la manière dont nous pouvions gérer notre emploi du temps, remarque Andrew. Là, c’était à nous de décider quand nous mettre au travail, quand nous nous sentions vraiment prêts.

Loss of Life possède donc une certaine pureté dans ce sens, car la motivation première derrière ce disque était de rejouer ensemble et de passer du bon temps à le faire, ce qui est l’essence d’un groupe. Cette sensation était très plaisante, elle nous renvoyait à nos débuts et nous rappelait pourquoi nous avions créé MGMT à l’origine.”

Fidèle à ses habitudes saugrenues et imprévisibles, la paire n’a pas manqué de prendre à revers l’auditoire pour annoncer son grand retour. Dévoilé en novembre dernier, le single inaugural Mother Nature, sous ses airs de pop FM bon enfant et sa joyeuse vidéo d’animation émouvante, vient saper toute idée de continuité stylistique.

L’idée est plutôt d’aller faire un saut temporel à la fin du siècle dernier, de s’imprégner de la Britpop et de piquer quelques effets de manche aux frères Gallagher, quitte à singer Oasis, démarche totalement consciente et revendiquée par les Américains. Pour le plaisir.

Des clins d’œil à Alice in Chains ou Queensrÿche

Dans la foulée, Bubblegum Dog, deuxième extrait détonant publié quelques semaines plus tard, enfonce le clou. À l’image de son clip parodique hautement référencé, clin d’œil à Alice in Chains, The Smashing Pumpkins et toute la scène alternative d’outre-Atlantique visible à l’époque sur MTV, MGMT s’élance dans une course-poursuite existentielle, rythmée par des guitares remises au centre du jeu et un solo de clavecin à en perdre la raison. Toutes les influences sont donc bonnes à prendre, tant qu’elles collent au cadre voulu par le duo et à sa narration.

“Nous avons toujours travaillé de cette manière : on teste un air et il nous évoque très vite une musique que nous connaissons, comme une référence, qui va nous aider à construire une chanson et dessiner les formes, les sons et les intentions d’un album, commente Andrew.

Sur Mother Nature, l’idée est venue d’assurer la rencontre entre Oasis et Jacobites. Nothing Changes, elle, doit plus au groupe de metal progressif Queensrÿche et à son énergie, alors que pour People in the Streets, nous étions sur la piste d’un son assez sophistiqué, un truc typé adult contemporary.”

Ben Goldwasser, le savant fou, bidouilleur de synthétiseurs et hémisphère geek de MGMT, poursuit : “Au lieu de nous éloigner instinctivement de ces influences, nous essayons de les accepter et de les accueillir pleinement. Peu importe qu’elles soient embarrassantes, qu’elles ne soient pas cool ou dans la tendance du moment. Il faut aller jusqu’au bout. Et nous obtenons toujours quelque chose de cette sincérité.

Nous essayons vraiment de proposer une musique authentique, au lieu de verser dans l’ironie, de donner à entendre un bloc d’émotions directes, personnelles et évocatrices. Mais il est clair que nous aimons afficher notre sens de l’humour sur ce qui nous entoure, car nous sommes sans cesse en train d’observer l’absurdité de la vie. Alors persiste cette idée que nous jouons dans un groupe et qu’il vaut mieux ne pas trop se prendre au sérieux pour nous en tirer. C’est souvent plus simple d’aborder les sujets sérieux avec humour.”

Essayer d’imaginer un monde meilleur

Élaboré à distance entre Los Angeles et les environs de New York, où résident respectivement Ben et Andrew, puis façonné avec l’aide d’un casting digne des meilleurs blockbusters de la pop contemporaine, réunissant entre autres les producteurs Dave Fridmann et Patrick Wimberly (pour les habitués), sans oublier Daniel Lopatin alias Oneohtrix Point Never et Danger Mouse (pour les nouveaux), Loss of Life détourne les références.

Si certaines de ses textures renouent avec les accents baroques de Congratulations, leur chef-d’œuvre psychédélique de 2010 (la sublime Phradie’s Song ou le bouquet final grandiose du morceau-titre), il plonge ses états d’âme dans un brouillard de folk pastorale (Nothing to Declare), les propulse au-delà des cieux sous l’effet d’une new wave épique (l’immense Nothing Changes) ou varie les expériences synthétiques (I Wish I Was Joking) pour surmonter la sinistrose ambiante et lui tenir tête.

“Je suis fatigué d’entendre que tout est foutu et que notre monde est en train de mourir. Le monde a toujours été en train de mourir et tout a toujours été foutu dans l’histoire de l’humanité. Il est temps de vivre et de ne plus fuir les problèmes. C’est ce que raconte cet album et c’est ce qui le rend optimiste, s’exclame Ben. Avec Loss of Life, nous essayons d’imaginer un monde meilleur et de nous concentrer sur les priorités, à savoir l’amour et l’idée de rassembler les gens. Qu’il y ait une sorte de connexion entre les individus. Et si chacun arrive à ressentir ça et que nous avançons ensemble dans ce sens, peut-être que le monde sera meilleur.”

Mort et renaissance

Alors que Little Dark Age, avec son imaginaire gothique, se faisait le reflet de son époque à travers l’évocation hallucinée d’un monde menacé par les technologies et l’élection de Donald Trump, Loss of Life choisit a contrario de prendre davantage de recul. En l’espace d’une dizaine de titres, il emmène ses chansons sur d’autres voies, celles des confins de l’univers ou des frontières de la Terre, et délivre une bande-son plus apaisée, bien que délibérément poignante et nostalgique.

“Ces trois mots, Loss of Life, renvoient littéralement à une perte de vie, mais ce n’est pas forcément négatif comme nous pourrions le faire croire, ajoute Andrew, jamais le dernier à mettre en perspective ses expériences psychédéliques pour étoffer son propos. Il m’est déjà arrivé de participer à un rituel d’ayahuasca, et pendant plusieurs mois après cette cérémonie, j’avais la ferme impression que tout n’était que mort et renaissance perpétuelle.

C’est ce que j’évoquais déjà dans la chanson I Love You Too, Death, sur notre troisième album, MGMT [2013] : tous les commencements sont une fin. Si tu y prêtes attention, la naissance d’un enfant, par exemple, s’accompagne toujours de la fin d’un cycle, où il faut accepter la perte d’une vie antérieure et en faire le deuil. La vie vient avec la mort et inversement. Pour le reste, l’amour est la réponse. C’est peut-être cliché, mais c’est la vérité.”

Si le thème de l’amour se révèle tout au long du disque, Ben et Andrew décident de s’ouvrir à la collaboration pour le matérialiser au détour d’un titre enregistré avec la ferveur d’autrefois. Sur Dancing in Babylon, duo passionné tout droit sorti de la génération Bonnie Tyler/Cyndi Lauper, les Américains offrent à Christine & the Queens le premier featuring officiel à paraître sur un album de MGMT. Selon eux, le choix du musicien français sonnait comme une évidence. Lui seul pouvait prendre part à cette romance flamboyante tirée du chaos. Un honneur, confirmé par l’artiste invité.

“De grands mélodistes, inventifs et éternels”

“J’ai aimé être un personnage pour eux, car entrer dans cette collab se fait pour moi avec respect pour leurs intentions, comme un interprète, témoigne Chris, contacté par mail fin janvier. Quand j’ai reçu le morceau, je l’ai trouvé à la fois vaste, épique et traversé d’une douceur que j’adore. La power ballad des eighties est très liée à la vulnérabilité d’un cœur noble car ouvert, les grands sentiments, le ‘Turn around / Every now and then’…

C’est ce que les garçons ont émulé ici, mais évidemment en restant profondément eux-mêmes, avec leur poésie très particulière, leurs mots étranges toujours judicieux… Ce sont de superbes songwriters, de grands mélodistes, inventifs et éternels, et leur production a toujours été pour moi très inspirante. Un grand rapport aux textures, aux espaces. Il y a une énergie de l’enfance aussi dans ce projet, des instincts géniaux.”

S’il fallait encore s’interroger sur les intentions profondes de MGMT, Loss of Life apporterait un nouvel éclairage. Vingt ans après We (Don’t) Care et sa formulation équivoque, impossible de ne pas voir de quelle manière l’entendre. Tout était là, dès le début. Rien n’a bougé.

Loss of Life (Mom+Pop Music/Bertus). Sortie le 23 février.



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Author : Valentin Geny

Publish date : 2024-02-24 18:00:00

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