Les Inrockuptibles ont toujours apporté un soin particulier à la photo, dès les débuts du magazine en 1986, à l’époque où il s’agissait d’un fanzine ! Renaud Monfourny imprimait alors sa patte en noir et blanc, minimale, grunge. Aujourd’hui, Les Inrockuptibles travaillent avec de nombreux·ses photographes, en couv comme dans les pages intérieures, et exposent régulièrement leurs travaux en portfolio. Ni accessoire ni simplement jolie, la photo est au cœur de notre projet éditorial depuis nos débuts. J’ai envisagé cette exposition comme l’instantané d’une jeune scène photographique actuelle. Une jeune scène à la modernité ravageuse. Incarnée ici par cinq photographes qui ne se connaissent pas forcément, dont les univers sont radicalement différents, mais qui partagent la force de la singularité, la puissance de la franchise, le fait d’y aller, à fond, d’asseoir son délire, sans se préoccuper d’un quelconque regard extérieur. Cinq jeunes gens modernes.
Romy Alizée
Romy Alizée est une artiste franco-grecque. Romy n’a pas fait d’école d’art, mais une école de théâtre, ainsi que beaucoup d’autres formations de terrain. Elle réalise des œuvres faisant intervenir photographie, cinéma, performance, chant, radio et écriture, autour de sujets intimement liés à sa vie, brouillant ainsi la frontière entre le réel et la fiction.
“Things I Imagined est une collection d’autoportraits faite pour interroger le regard porté sur les sexualités, dans leurs démonstrations les plus explicites. Plus spécifiquement, cette série est axée sur la représentation des lesbiennes, des personnes queer et des travailleuses du sexe, lesquelles se trouvent à l’intersection de plusieurs discriminations : fantasmées comme invisibilisées, souvent reléguées à une niche artistique. Ce travail propose de combler un manque à l’endroit de nos imaginaires de l’intime, dans une démarche politique de réécriture des narratifs habituellement associés aux minorités sexuelles. Sans exhaustivité ou prétention à rassembler, il s’agit plus simplement d’aller chercher les limites du convenable et de la respectabilité, de s’engager en tant qu’artiste jusque dans sa chair, afin de faire émerger l’indicible.”
Camille Mompach
Originaire du nord de la France, Camille Mompach, 30 ans, a commencé la photo à l’adolescence en autodidacte, se familiarisant avec l’argentique qu’elle ne quitte plus. En 2020, Cream voit le jour, une gazette de charme 2.0, female gaze, qu’elle monte avec son amie Naïs Hoarau des Ruisseaux.
Elle entame par la suite un travail mettant à l’honneur les corps dans une série baptisée Corporis, qu’elle poursuit et expose ici. En 2021, elle présente pour la première fois son travail dans le cadre de l’exposition Les Corps qui changent, organisée par La Fondation des Femmes. Après avoir produit la série Cliché avec la marque de lingerie RougeGorge, visant à déconstruire les clichés entourant les corps des femmes, elle a sorti un fanzine, Hello Girls, sur le rapport à la révolution numérique et l’intime en collaboration avec A Part Publications, maintenant disponible chez KD Press.
Guillaume Blot
Né en 1989 à Nantes, diplômé du Celsa-La Sorbonne, puis étudiant aux Gobelins, Guillaume Blot débute la photographie documentaire en 2015. Sa première série, Buvettes – sur l’univers des friteries autour des stades –, est exposée au Off des Rencontres d’Arles en 2019. Elle est suivie cette année-là de Rades, quatre ans d’immersion dans les bistrots français, un projet sorti en livre chez Gallimard en mai 2023. Sa dernière série, Parti intime (sur la contraception masculine), tend, elle, à sensibiliser et informer sur cette méthode, à travers son témoignage au moyen format argentique. Son travail photographique flashe avec un humour tendre une France populaire et des communautés du quotidien sous forme de reportages et de portraits. Ses images visent à montrer ce que l’habitude rend invisible, à pointer les détails et l’anecdotique, à raconter des histoires merveilleusement normales.
Émilie Désir
Émilie Désir est née en 1987, elle vit et travaille à Paris. Dans un monde saturé d’images précaires ou haute définition, la foule est souvent médiatisée de travers, par ses clichés et ses fantasmes négatifs. Envisageant la photographie comme un pouvoir qui permet de révéler des contre-récits à travers les pensées lacrymogènes, Émilie Désir couvre depuis plusieurs années les mouvements sociaux au plus près des militant·es et des territoires où les révoltes s’animent. Son 40 mm est le prolongement de ce qu’elle voit, elle observe le monde avec attention, agitée par l’adrénaline qui saisit son corps. Émilie Désir tourne autour des événements et cherche à capturer leur naturel, au cœur du corps-à-corps, à l’argentique.
“C’est l’émotion qui me fait appuyer sur le bouton. Que ce soit de la peur, de l’espoir, de la détresse ou de la joie.” Son travail rend compte d’une actualité contestataire plurielle et vivace, dont la complexité émotionnelle et politique évolue entre désirs de visibilité et d’invisibilité, du gilet fluorescent aux tenues noires et techniques. Émilie Désir a suivi, entre autres, sur le temps long, le mouvement des Gilets jaunes.
Elle diffuse le plus souvent ses photographies à travers des éditions indépendantes – format fanzine – qui lui permettent de construire ses narrations tout en les rendant accessibles financièrement. En classifiant ses photographies, Émilie Désir révèle – au sens photographique du terme – les dynamiques collectives qui animent les révoltes contemporaines, leurs instants furtifs, à travers les flammes, les armes, les actions violentes, les yeux sans visages des manifestant·es et des forces de l’ordre. Sa démarche répond à l’envie de voir ce qui se joue dans la rue, sans filtre, et d’en témoigner sans manipulation. Son travail s’impose comme un contrepoids au déficit et au déséquilibre de l’information qui circule sur les révoltes populaires. Une manière de “ne pas oublier”.
Bettina Pittaluga
Bettina Pittaluga est une photographe et réalisatrice franco-uruguayenne. Après sa formation de photojournaliste, elle obtient un master de sociologie à La Sorbonne et un master au Centre d’études littéraires et scientifiques appliquées (Celsa). La sociologie fut pour elle une révélation : “J’étais face
à une science qui essayait de répondre à toutes les questions que je me posais.”
Elle découvre la photographie vers l’âge de 14 ans en prenant en photo ses amis et sa famille. Aujourd’hui, que ce soit pour des commandes ou des projets personnels, son esthétique naturelle et lumineuse nous transporte tout droit vers l’émotion. Armée de bienveillance, Bettina Pittaluga met en lumière des personnes encore trop souvent invisibles dans l’espace médiatique. Elle travaille uniquement avec la pellicule, en moyen format, le cœur de son travail est l’être humain : “Je mets en avant des personnes qui ont des choses à dire et qui sont en accord avec mes convictions. Je suis très attirée par l’amour, la tendresse, la gentillesse. Et tout cela va de pair avec le fait que je me bats chaque jour contre l’injustice, la violence et la haine.”
Source link : https://www.lesinrocks.com/arts-et-scenes/des-jeunes-gens-modernes-les-inrocks-exposent-la-jeune-scene-photo-francaise-610963-26-02-2024/
Author : Carole Boinet
Publish date : 2024-02-26 17:26:39
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