Constance Rimlinger : Féministes des champs, du retour à la terre à l’écologie queer et Geneviève Pruvost : La subsistance au quotidien, Conter ce qui compte
Vivre de peu, autrement, dans les marges de la société dominante, en communauté, en réinventant le travail, le couple ou la famille, en déployant d’autres formes de vie, mettant au centre l’autonomie écologique, l’entraide, les circuits courts ou les flux de matière : c’est à cet horizon d’une utopie concrète que s’attachent deux sociologues complices dans deux enquêtes parallèles et complémentaires sur la revitalisation politique de certaines campagnes.
Dans Féministes des champs, du retour à la terre à l’écologie queer, Constance Rimlinger analyse le développement d’un écoféminisme actif, cherchant à lier la reconnexion à la nature et l’émancipation à l’égard des normes de genre et de sexualité. Dans La subsistance au quotidien, Geneviève Pruvost se fait l’ethnologue et la graphomane du labeur quotidien de boulanger·ères-paysan·es dans un bocage peuplé d’habitats légers. Et éclaire l’existence des alternatives à la modernité capitaliste dans les campagnes françaises.
Constance Rimlinger : Féministes des champs, du retour à la terre à l’écologie queer (Puf) 290 p, 23 euros. Geneviève Pruvost : La subsistance au quotidien, Conter ce qui compte (La découverte) 464 p, 28 euros.
Élodie Pinel, Moi aussi, je pense donc je suis ! Quand les femmes réinventent la philosophie
Comment croire en l’éclipse de la domination masculine, tant contestée aujourd’hui, sans passer par un réexamen complet de l’histoire de la pensée, de la philosophie en particulier ? Observant la place manquante des femmes philosophes dans les manuels ou les programmes scolaires, où seules quelques-unes, comme Hannah Arendt ou Simone de Beauvoir, sont reconnues, Elodie Pinel invite à considérer enfin des autrices oubliées (Émilie du Châtelet, Flora Tristan, Marguerite Porete, Hildegarde de Bingen, ou Mary Astell) et prendre au sérieux la manière dont beaucoup ont nourri l’histoire de la pensée. Du totalitarisme, avec Hannah Arendt, au “cyborg” avec Donna Haraway, de la distinction entre genre et sexe avec Judith Butler au “care” avec Carol Gilligan…, sans parler de tous les grands sujets politiques et éthiques (le travail, l’écologie, la démocratie, l’égalité, l’animal, le vivant, la fin de vie…) beaucoup de femmes ont inventé des concepts décisifs. Le rappelant fermement, Elodie Pinel dessine un paysage intellectuel nouveau, dont le passé et les perspectives doivent tant aux femmes.
Élodie Pinel, Moi aussi, je pense donc je suis ! Quand les femmes réinventent la philosophie (Stock, 335 p, 21 euros, sortie le 14 février)
Erik Olin Wright, Pourquoi la classe compte, Capitalisme, genre et conscience de classe
Disparu en janvier 2019, le grand sociologue américain Erik Olin Wright a laissé derrière lui une œuvre-clé, pensant l’avenir post-capitaliste de l’humanité. Circulant dans certains réseaux militants et philosophiques aujourd’hui, son œuvre majeure, Utopies réelles (le seul livre traduit en français de son vivant) dévoilait des voies possibles pour dépasser concrètement le capitalisme néo-libéral. Conciliant comme à son habitude rigueur scientifique et engagement politique, il propose dans ce livre une autre analyse stimulante de nos sociétés bloquées. Tout en prenant sérieusement en compte d’autres paramètres comme le genre ou la race, le sociologue remet la classe à sa place, centrale. Pour en faire le lieu et l’origine d’une nouvelle lutte sociale pour l’émancipation.
Erik Olin Wright, Pourquoi la classe compte, Capitalisme, genre et conscience de classe. (Amsterdam) 400 p, 25 euros.
Cédric Durand, Razmig Keucheyan, Comment bifurquer, Les principes de la planification écologique
Tous les indicateurs écologiques nous alertent sur ce qui nous menace : eau, biodiversité, artificialisation des terres, pollutions chimiques, réchauffement climatique…. Mais comment expliquer notre impuissance collective à conjurer les périls ? Pour l’économiste Cédric Durand et le sociologue Razmig Keucheyan, le nœud du problème tient dans les tensions entre l’impératif d’accumulation du capital et l’urgence écologique. Réfléchissant au dernier grand tabou de nos sociétés – la limitation de la consommation, autrement dit la sobriété –, les auteurs invitent à décoloniser nos imaginaires économiques, et à faire le tri entre ce qui relève de besoins artificiels et ce qui relève de besoins réels, compatibles avec les principes de soutenabilité et d’égalité. Consommer moins pour vivre mieux.
Cédric Durand, Razmig Keucheyan : Comment bifurquer, Les principes de la planification écologique (Zones) 256 p, 20,50 euros. Sortie le 14 mars.
Gloria Origgi, La vérité est une question politique.
À l’heure de la défiance généralisée à l’égard des institutions, du déluge informationnel d’Internet, de la désinformation rampante, la vérité serait-elle un concept obsolète ? Critique du procès fait aujourd’hui à la vérité, la philosophe Gloria Origgi soutient la nécessité de réinvestir le sujet sans occulter les problèmes que pose l’organisation de l’expertise et de la parole scientifique. Au fil d’une réflexion subtile, l’autrice pose les bases d’une nouvelle épistémologie pour le XXIe siècle, permettant de faire prospérer la confiance contre l’idiotie sceptique et la désinformation. En invitant à transformer les institutions du savoir, censées protéger la vérité, le livre défend la nécessité de “travailler ensemble à un monde nouveau dans lequel penser ne serait pas un luxe réservé à un petit nombre ou une masturbation solitaire et inutile, mais le fruit le plus précieux du vivre-ensemble”. Une réflexion salutaire pour faire des faits et des vérités le socle d’une vie commune, aujourd’hui fragilisée.
Gloria Origgi, La vérité est une question politique. (Albin Michel) 170 p, 20 euros, sortie le 29 février.
Source link : https://www.lesinrocks.com/livres/5-essais-pour-repenser-nos-vies-611132-28-02-2024/
Author : Jean-Marie Durand
Publish date : 2024-02-28 14:00:11
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