De Paul Andreu (1938-2018), architecte et ingénieur prolifique, tous les voyageurs décollant de Paris connaissent au moins une œuvre magistrale, celle qui a marqué son entrée dans l’histoire de l’architecture : l’aérogare 1 de Paris Charles-de-Gaulle inauguré le 8 mars 1974. Un aérogare en forme de disque opaque en béton brut, sans façade, dont les routes d’accès s’enroulent autour du corps central. Lorsqu’il se vit confier, en 1967, la conception de cet aréogare, Paul Andreu n’avait que 29 ans. En tant que jeune architecte et ingénieur, formé à l’École Polytechnique, aux Ponts et Chaussées et aux Beaux Arts à la fois, il était entré en 1963 dans l’établissement public Aéroports de Paris (devenu ADP) pour y concevoir des infrastructures aéroportuaires. Il y restera finalement durant près de quarante ans, pour devenir un expert du genre, au point de réaliser une vingtaine d’aéroports dans le monde entier, au Caire, à Abou Dabi, Jakarta, Nice, Bordeaux, Pointe-à-Pitre… (il arrêtera de travailler en France après l’effondrement, en mai 2004, d’une section de l’aérogare 2E de l’aéroport de Roissy, une année après sa mise en service).
Mais comme le révèle l’exposition que lui consacre la Cité de l’architecture et du patrimoine, Paul Andreu, l’architecture est un art, son geste constructif ne se réduit pas exclusivement aux espaces aéroportuaires. Un élan artistique d’une grande amplitude résume tout son travail, par-delà les ailes des avions et les esclatators des zones d’embarquement. Car l’architecte avait dans son ventre un souffle d’esthète, concentré sur tous les espaces possibles (280 œuvres originales sont ici présentées !).
“Lieu qui sollicite les rêves”
Ce tropisme artistique se manifesta dès la fin des années 1960 par le soin qu’il porta à l’aménagement intérieur de l’aérogare 1, avec le soutien du décorateur Joseph-André Motte, du coloriste Jacques Fillacier et du sculpteur Antoniucci Volti, entre autres. Andreu avait compris qu’un bâtiment, même fonctionnel comme un simple aéroport, devait aussi susciter chez ses usagers une émotion, une sensation, qui conjure l’angoisse du voyageur au moment du décollage. Imaginer un “lieu qui sollicite les rêves” ; ce fut tout autant son obsession que celle d’édifier un édifice sur des bases matérielles solides.
Constuite autour des 69 carnets à dessin et des archives de Paul Andreu, donnés à la Cité, qui documentent tout le processus de création de ses projets de 1969 à sa mort en 2018, l’exposition rend compte de cette sensibilité artistique, qui n’a cessé de s’incarner dans des projets différents, dont beaucoup en Asie, à l’image du musée maritime d’Osaka au Japon ou du Grand Théâtre national de Pékin en Chine.
La commissaire de l’exposition, Stéphanie Quantin-Biancalani, responsable de la collection d’architecture moderne et contemporaine de la Cité, explique que “de Roissy à Pékin, les projets de Paul Andreu sont d’abord des traversées qui mobilisent des principes fondamentaux : la terre et le ciel, le carré et le cercle, l’Occident et l’Orient”. Car tous ses bâtiments, qu’ils soient des aéoports, des musées ou des salles de concert, cherchent à conférer une expression formelle à l’envol. “Les notions de seuil, de passage, et d’envol sont ancrées dans l’œuvre de l’architecte”, précise-t-elle. “À l’opposé du monument ou du signe, son architecture est, à travers ses recherches sur l’espace et le temps, les ombres et la lumière, les matériaux et les mythes architecturaux, conçue comme un mouvement, un élan ascensionnel.”
“Progression vers la lumière”
L’exposition consigne tous les mouvements et les étapes de son travail, qui parti de manière précoce sur des bases déjà spectaculaires, n’a cessé de s’affiner, de prendre des tangentes, d’élargir une écriture technique et artistique pour explorer des formes et des espaces nouveaux : le tremplin de ski de Courchevel réalisé pour les JO de 1992, le terminal français du Tunnel sous la Manche (1985-1994), le musée maritime d’Osaka ou l’Opéra de Pékin, qui consolide sa réputation internationale… Tout au long du parcours, rythmé par des sections thématiques, le visiteur découvre des textes de l’architecte, ses dessins et croquis, des plans et des photos des bâtiments, comme les traces d’une pensée architecturale en mouvement permanent, où les mots et les maquettes, les lettres et les chiffres, les idées et les courbes géométriques, se fondent dans un seul élan, aussi poétique que technique, reliant les Ponts et Chaussées et les Beaux Arts, sans que l’une ou l’autre école n’écrase l’autre en lui.
Paul Andreu, qui a toujours avoué son admiration pour des architectes majeurs comme Frank Lloyd Wright ou Alvar Aalto, puisait dans des matériaux comme le béton, mais aussi la pierre et le bois, des formes sensuelles. Inspirée aussi par des œuvres d’Oscar Niemeyer, Eero Saarinen (l’architecte finlandais de l’aéroport JF Kennedy de New York) ou même John Lautner et Tadao Ando pour ses réalisations japonaises, l’architecture d’Andreu se voulait une “progression vers la lumière”. Rappelant à tous ceux qui le voyaient surtout comme un pur ingénieur qu’il fut aussi un esthète sensible aux formes, l’exposition l’inscrit au cœur de l’architecture contemporaine. Un cœur vaguement solitaire, car il n’appartenait à aucun courant ou aucune chapelle qui l’aurait détourné de sa vocation quasi sacrée. Pour lui, “l’important n’était pas l’architecte ou les architectes, mais l’architecture”, c’est-à-dire ce geste consistant à “effectuer un service (…) et sans l’assurance d’être juste, répondre à un besoin social d’abri et de beauté”.
Paul Andreu, l’architecture est un art, à la Cité de l’architecture et du patrimoine, Palais de Chaillot, à Paris, jusqu’au 2 juin
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Author : Jean-Marie Durand
Publish date : 2024-02-27 17:12:19
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