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Au Centre Pompidou-Metz, les artistes passent sur le divan des “Lacan, l’exposition”

Au Centre Pompidou-Metz, les artistes passent sur le divan des “Lacan, l’exposition”



Si la réputation de Jacques Lacan (1901-1981) dans le monde de l’art reste largement indexée à l’histoire de la mythique toile de Gustave Courbet, L’Origine du monde, qu’il acquit en 1955 par l’entremise de son ami André Masson, elle reste peu de chose au regard des affinités entre sa pensée et la création artistique en général. Car, plus qu’un simple collectionneur et complice des artistes de son temps (Dalí, Duchamp…), le psychanalyste fut le concepteur d’une théorie du regard qui a ouvert des perspectives d’analyse fécondes dans le champ de l’art.

Ses célèbres séminaires éclairent encore une part de la création contemporaine confrontée à la question du sujet regardeur et à des enjeux qui traversent notre époque, tels l’identité, le désir, le langage, le narcissisme, la jouissance, la perversion… “Lacan n’était pas un visionnaire mais un homme qui aidait à voir”, souligne le psychanalyste Gérard Wajcman, à l’origine avec sa consœur Paz Corona de la magistrale exposition du Centre Pompidou-Metz, Lacan, quand l’art rencontre la psychanalyse. Disparu en 1981 (“Tout fou Lacan”, titrait Libération au lendemain de sa mort), il a fait du regard un objet, estimant, comme Duchamp, que le sujet voyant est d’abord un sujet regardé. Y compris par les œuvres d’art elles-mêmes.

Pour les deux commissaires de l’exposition – les historien·nes de l’art Marie-Laure Bernadac et Bernard Marcadé –, il s’est agi de mettre en scène cette théorie du regard, en jouant sur trois registres distincts mais enchevêtrés : exposer des œuvres que Lacan a regardées (Vélasquez, le Caravage, Dalí, Magritte…), des œuvres qui sont des hommages directs à sa pensée (Raymond Hains, Marcel Broodthaers, Annette Messager, Sophie Calle… ) et d’autres œuvres contemporaines secrètement contaminées par les motifs lacaniens, comme le nœud borroméen, l’objet a, la “lalalangue”, le “parlêtre” (Cindy Sherman, Pierre Huyghe, Douglas Gordon, Maurizio Cattelan, Latifa Echakhch, Leandro Erlich…). Parmi tous·tes, remarque Bernard Marcadé, Raymond Hains est “peut-être l’artiste le plus lacanien de l’exposition”, à l’image de sa valise métallique pleine de livres de Lacan annotés.

La grande intelligence du parcours, d’une richesse incroyable à la fois par le nombre d’œuvres présentées et par la rigueur analytique d’un récit ajusté aux fulgurances lacaniennes, tient à cette manière de jouer des correspondances entre les mots de Lacan et les gestes artistiques, entre les artistes qu’il a vu·es et celles et ceux qui l’ont lu, sans poser de récit clos et définitif sur ce que l’art doit à Lacan, ou même sur ce que Lacan a fait à l’art. On peut faire d’ailleurs l’hypothèse que certain·es artistes l’ont moins lu dans le texte qu’il·elles n’ont assimilé les formules célèbres du psychanalyste, devenues des mantras, parfois ambivalents, de la culture populaire : “ne pas céder sur son désir”, “il n’y a pas de rapport sexuel”, “la femme n’existe pas”, “les non-dupes errent”… Bernard Marcadé rappelle que certaines de ses phrases décapantes, comme “de l’art, nous avons à prendre de la graine” ou “en sa matière, l’artiste précède toujours le psychanalyste”, invitent par elles-mêmes à se délester du poids théorique de ses écrits. Exposer Lacan, c’est assumer l’idée qu’au commencement était l’image. Le reste n’est que littérature (analytique).

La couche savante de l’exposition n’écrase ainsi jamais le parcours du public, qui même stimulé par les concepts de Lacan, n’est pas tenu de comprendre tout ce qui se trame dans la psyché du théoricien. Le spectacle des œuvres se suffirait presque à lui-même s’il n’était, il est vrai, intensifié par la connaissance de la pensée qui l’anime. Lacan se devine et s’oublie à la fois face à des œuvres souvent grandioses : le Narcisse du Caravage ! L’Origine du monde de Courbet ! Les Ménines de Vélasquez ! L.H.O.O.Q. de Duchamp ! Sainte Lucie de Zurbarán ! Princesse X de Brancusi ! Le Faux Miroir de Magritte ! Spaghetti Man de Paul McCarthy ! Upshot de Douglas Gordon ! Mon secret de Niki de Saint Phalle ! Lacan de Sophie Calle ! Flottante, la présence de Lacan se confond sans cesse avec son absence.

Structuré à partir de points de fixation de sa pensée – stade du miroir, la femme, mascarades, jouissances, il n’y a pas de rapport sexuel, le nom-du-père, l’anatomie n’est pas le destin –, le parcours déploie une dialectique vertueuse entre la pensée et l’art, entre le·la regardeur·euse et le·la regardé·e, l’âge classique et le contemporain, la pulsion scopique et la distanciation critique… Ce qui saute aux yeux, c’est au fond combien sa pensée, par-delà ses facéties et sa complexité, éclaire l’époque, “une époque assez opaque, parfois obscure, incertaine en tout cas”, estime Wajcman. “Peut-être qu’on ne le sait pas encore, mais l’époque est plus lacanienne qu’on ne pouvait le croire. L’exposition est faite pour le faire savoir.” L’histoire qui s’expose ici est autant une histoire de l’œil que celle d’une pensée, dont Lacan nous a appris qu’elles confluent comme les eaux de deux rivières sans retour. Jean-Marie Durand

Lacan, l’exposition. Quand l’art rencontre la pyschanalyse, au Centre Pompidou-Metz, jusqu’au 27 mai.



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Author : Jean-Marie Durand

Publish date : 2024-03-01 07:00:00

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Tags :Les Inrocks

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