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En 1967, à l’apogée de la Révolution culturelle chinoise, la jeune astrophysicienne Ye Wenjie assiste à l’exécution de son père par les Gardes rouges. Internée dans un camp de rééducation par le travail, elle intègre un mystérieux projet de télétransmissions dirigées vers l’espace… De nos jours, alors qu’une vague de suicides frappe d’éminent·es chercheur·ses, cinq ami·es scientifiques sont témoins de phénomènes qui défient l’entendement. Les lois de la science se dérèglent, celles de la fiction embraient.
Premier tome d’une trilogie de romans de science-fiction chinoise écrite par Liu Cixin, Le Problème à trois corps a fait l’objet d’une première adaptation télévisuelle produite à domicile. David Benioff et D. B. Weiss, les créateurs de Game of Thrones, s’associent à Alexander Woo pour en offrir une nouvelle version dans le cadre d’un contrat d’exclusivité avec Netflix. Si cet ambitieux comeback est l’occasion de quelques retrouvailles – avec une partie du casting de GoT, Ramin Djawadi qui signe le thème musical ou la patte de Jeremy Podeswa, réalisateur régulier de la saga –, il invite surtout une double altérité dans le champ de vision de notre canapé. Celle d’une œuvre dense, complexe et pétrie de références issues de la culture chinoise, et celle (spoilers !) des San Ti, une civilisation extraterrestre aux intentions troubles en route pour la Terre.
Une première saison fragmentée entre plusieurs époques et continents
Mené avec efficacité, le travail d’adaptation parvient à rendre intelligible les extrapolations scientifiques extrêmement détaillées qui tirent parfois le matériau d’origine vers les frontières de l’abstraction. Outre une occidentalisation partielle du casting qui n’abîme pas la substance des personnages, la série opère de discrètes actualisations qui nouent le traumatisme du Covid et les dernières avancées scientifiques au contexte de son intrigue.
Fragmentée entre plusieurs époques et continents, cette première saison questionne le réel à l’aune de sa manipulation par des technologies de pointe parfois si avancées qu’elles sont indiscernables de la magie. Certains personnages croient devenir fous lorsqu’un compte à rebours s’imprime sur leur rétine, d’autres ne laissent aucune trace sur les caméras de surveillance et l’humanité tout entière assiste, ébahie, à un clignotement synchronisé des étoiles.
Prouesse technique
De façon assez désarçonnante, la série enserre ces miracles (ou tristes augures) dans une forme atone : la prouesse technique garde un rendu figé et les émotions des personnages semblent lissées. Ce paradoxe culmine dans un jeu en réalité virtuelle anonymement adressé à certain·es d’entre eux·elles, dont l’objectif consiste à prédire les conditions de survie de civilisations soumises à des événements climatiques dévastateurs. Les peuples s’éteignent en un battement de cils et dans un déluge de pixels, sous le regard impuissant d’observateur·rices désincarné·es.
Cette fiction dans la fiction, qui lui donne également son nom (le jeu s’appelle Le Problème à 3 corps), semble cristalliser ses enjeux profonds. À travers ses images mortes et ses rêves éteints, elle acte une colonisation du réel par le virtuel qui tend à anesthésier nos sens et à niveler nos imaginaires. Que reste-t-il à ressentir à une humanité prise entre les feux de la réalité virtuelle et de l’intelligence artificielle ?
Le développement d’architecture ambitieuse
Cette série étrangement désensibilisée, où l’émotion surgit toujours en retard ou à regret, semble formuler ces questions à son corps défendant. Et y répondre par l’hypothèse vertigineuse de “premier contact”, comme une façon de retrouver la vie dans le brouillard technologique qui a dévoré le champ du visible.
Formidable trouvaille narrative, celui-ci se joue à distance, la flotte San Ti exilée de sa planète natale étant à 400 années de voyage de la nôtre. L’altérité est donc pour l’heure repliée dans le hors-champ et se manifeste de façon médiatisée, par des techniques de surveillance, d’ingérence et de communication. Et la série de questionner la façon dont ces technologies modèlent notre humanité, la prolongent, la diluent peut-être. Il lui reste quelques siècles et saisons pour se préparer au choc et faire gagner en émotion son architecture ambitieuse.
Le Problème à trois corps, de David Benioff, D. B. Weiss et Alexander Woo, avec Jess Hong, Jovan Adepo, Liam Cunningham… Sur Netflix le 21 mars.
Source link : https://www.lesinrocks.com/series/le-probleme-a-trois-corps-que-vaut-la-serie-evenement-des-createurs-de-game-of-thrones-611767-07-03-2024/
Author : Alexandre Buyukodabas
Publish date : 2024-03-07 13:48:44
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