Nude core
En parallèle de la Fashion Week, et jusqu’au 25 août 2024, le musée Yves Saint Laurent accueille l’exposition Transparence, qui revient sur le travail pré-1968 du couturier français. Mousseline et fines matières translucides y sont reines, et la transparence est relue comme un symbole d’affirmation du corps féminin à l’aube de la révolution sexuelle. Six décennies plus tard, le nude est de retour, mais le contexte est radicalement différent.
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Chez Saint Laurent, Anthony Vaccarello accompagne justement ce retour avec une prouesse technique en composant la garde-robe de collants. Chez Dior, Maria Grazia Chiuri revisite également la fin des années 1960 et agrège de la transparence à son vestiaire, fait d’imper et de robes trapèzes noires. Pour sa première collection chez Chloé, Chemena Kamali utilise la transparence pour composer de grandes robes-blouses aux lignes seventies, assimilées, dans l’imaginaire occidental, à une époque de contre-culture libertaire.
La liste des occurrences de tenues transparentes dans les défilés est longue : plus de 346 silhouettes recensées sur Tagwalk. Elles se fondent dans le vestiaire ultra-chic de Dries Van Noten, sur le red carpet pour Valentino et dans le vestiaire inclusif d’Ester Manas. La transparence est aussi bien diurne que nocturne. Elle choque les critiques américaines telles que Vanessa Friedman, qui écrit pour le New York Times : “Enough with the boobs”, pointant le non-sens de cette dernière dans un monde post-#MeToo. Pourtant, ces poitrines ne pourraient-elles pas être synonymes d’une nouvelle révolution et d’une quête de recomposition du désir dans cette nouvelle ère ?
Néo-armure
Si le vêtement ne remplit plus sa fonction de pudeur, il remplit celle de protection : chez Schiaparelli, les doudounes prennent des allures de corps masculins, tandis que les bracelets s’accumulent tels des néo-bracelets de force. Transformer le corps est également une thématique récurrente chez les nouvelles scènes créatives : les moules de bustes féminins s’immiscent dans la garde-robe du jeune label Zomer, identifiable à ses palettes pop et à la dimension ludique des vêtements. Une robe rouge pompier offre une lecture cartoonesque de la silhouette, tandis qu’une longue veste noire surmontée d’une surveste molletonnée élargit les épaules, rompant l’aspect convenu de la tenue. Le corps est également déstructuré chez Duran Lantink, finaliste du prix LVMH, qui questionne en particulier le buste. Les épaules sont arrondies et accentuées sur une robe rouge ou un ensemble biker en cuir, le ventre est allongé et dénudé, non dissimulé par un pull de ski rétréci.
Ainsi, le corps reformé devient un nouveau vêtement, rappelant la démarche de Rei Kawakubo dans sa collection de 1997, “Dress Meets Body” pour Comme des Garçons. Pour Rick Owens, le buste oscille entre donuts et lignes pointues, dans des coloris pastel et des matières moelleuses. Les mollets sont surgonflés, les visages entourés de cagoules. Ce n’est pas une dystopie, et Owens, à travers cette collection, évoque le pouvoir de l’imaginaire dans les espaces sociaux les plus sombres. Ici, il se souvient de l’opéra et de la science-fiction de son enfance, notamment les monstres parsemés de bijoux qui l’inspiraient. Une nécessité dans le contexte actuel ?
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Collage indé post-Internet
Veste à carreaux punk portée par-dessus un marcel argenté glam rock avec une combinaison workwear en cuir : ce collage de différents undergrounds se décline chez Rabanne par Julien Dossena, dessinant 33 looks post-subcultures. Depuis deux décennies, les médias sociaux participent à la circulation accrue des esthétiques, transformant différents imaginaires subculturels en mythes mainstream. Dans ce grand marché Internet des esthétiques, tout s’accumule tel un palimpseste, qui se devine chez Rabanne et différentes collections ayant chacune leur combinaison singulière.
Chez Chanel, Virginie Viard établit un dialogue entre les lignes androgynes des années 1920 et celles des années 1970, avec un clin d’œil à David Bowie. Chez Marine Serre, les nuisettes à imprimés python évoquent la sémiotique femme-enfant grunge des années 1990 et s’insèrent dans son tableau des personnages types du quotidien.
Chez Balenciaga, ces mêmes nuisettes se superposent dans la grande auto-examination de sa sémiotique menée par Demna Gvasalia, et la new beat 1990 nourrit le vestiaire post-genre de Meryll Rogge, qui fête son 4e anniversaire. Enfin, les codes entre pirates et gothiques illuminent le podium sombre d’Ann Demeulemeester, où Stefano Gallici présente sa deuxième collection très applaudie – notamment par la créatrice belge présente dans la salle. Preuve des persistances de certains symboles undergrounds, même à l’heure où ils sont devenus mainstream.
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Marqueur social trompeur
Un tableau représentant un paysage champêtre, accroché à un mur, est-il encore un indice de classe ? De même, le vêtement remplit-il encore cette fonction notamment décrite par le sociologue Pierre Bourdieu ? Autant de questions soulevées par Jonathan Anderson chez Loewe, qui chahutent le déterminisme sociologique. Dans sa collection, les vestes aristocratiques traînent sur le sol et les boutons de vestes deviennent les fermoirs d’épais bombers. Les polos preppy changent de texture et ainsi de signification dans des versions en tricot ultra-épais.
Remontant encore plus en arrière en ce qui concerne les codifications sociales, Rei Kawakubo pour Comme des Garçons se joue de signifiants esthétiques évoquant la cour – les coiffes, les volumes sont retravaillés avec du cuir épais dans une collection intitulée “Anger” racontant la rage de la créatrice, notamment contre elle-même. Chez Miu Miu, les manteaux en fausse fourrure s’articulent avec des pièces plus enfantines dans une collection qui questionne l’évolution du vestiaire féminin.
Chez Hermès, Nadège Vanhee-Cybulski bouscule l’attendu quiet luxury associé trop communément à la maison, et dessine un vestiaire à la coupe impeccable mais dans des cuirs épais et principalement noirs évoquant l’univers rock. Enfin, les petites robes noires BCBG s’ornent de figure de chat, et les vestes “jolie madame” et robes minimalistes de découpes et de coloris pop chez le jeune Alphonse Maitrepierre, qui continue de jouer sur les symboles couture années 1950, mixés avec les codes contemporains.
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Détournement
Plateau argenté porté tel un bustier ou mallette en cuir transformée en robe de cocktail pour Hodakova, finaliste du prix LVMH 2024, tandis qu’une jupe à imprimé prince de galles est portée en guise de néo-cape chez Marie Adam-Leenaerdt, également finaliste : la tendance à détourner les usages des vêtements et accessoires pour leur donner une nouvelle vie n’est pas un exercice qui se limite aux finalistes du prix LVMH.
La collection Balenciaga présentée par Demna regorge de jeux similaires : des sacs à dos forment un ensemble ou des pantalons deviennent des T-shirts pour femme et des gants de moto des pochettes. Le styliste élabore un manifeste pour la créativité comme nouveau luxe. Trois décennies plus tôt, Martin Margiela détournait des gants, assiettes ou ceintures pour former ses collections, questionnant le sens de la mode, mue par la nouveauté. Ainsi, il instaurait l’esthétique de la récupération, lisible comme une esthétique mode avant-gardiste. Aujourd’hui, elle fait un retour dans un contexte où le secteur doit produire en flux constant des vêtements mais aussi des images, susciter l’attention sur les réseaux sociaux et être partout, parfois au détriment du message d’origine.
Le détournement semble être un appel vers une nouvelle mode. Chez Sacai, Chitose Abe se concentre sur un vêtement type : la robe. Ainsi, les vestes en jean, maille, et les vestes officier se déclinent selon cette forme, tandis que chez Rokh, des perfectos sont pensés en robes de soirée, et chez Acne Studios, les sacs à main se prolongent en robes bustier.
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Author : Manon Renault
Publish date : 2024-03-08 18:30:35
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