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Godrèche, 23 ans avant #MeeToo

Godrèche, 23 ans avant #MeeToo



Judith Godrèche n’a donc que 21 ans quand elle écrit Point de côté, publié un an plus tard en 1995. Il est réédité aujourd’hui. On le lit et c’est une claque. Si le roman semble au départ écrit comme un scénario, avec une suite de dialogues, on réalise vite que ce parti pris fait sa force : on ne se concentre que sur ce qui est dit. Et c’est édifiant. Moins frontal que le récit de Springora, il oscille entre situation métaphorique et phrases dénuées d’ambiguïté. Une jeune fille, Juliette, alter ego de Judith, vient de rompre avec son amant, un homme beaucoup plus âgé dont l’ombre noire plane encore sur sa vie, elle qui se sent tellement vide. Elle est revenue chez sa mère, qui l’a élevée sans père. Elle rencontre une petite fille, Odile, à laquelle elle va s’attacher.

Des miroirs en cascade

C’est la métaphore du livre, miroir beau et cruel de l’enfance de Juliette elle-même, abandonnée, exposée, sans protection – Juliette va la prendre sous son aile, l’aimer, tentative de réparation de sa propre enfance détruite. Le texte est jalonné de phrases qui expriment et nous font ressentir l’horreur : “Et puis j’ai rencontré un garçon qui justement m’a aimée parce que j’étais une petite fille.” Pour qu’elle puisse partir en voyage avec lui : “J’étais mineure, alors ma mère écrivait une lettre qu’elle allait faire tamponner à la mairie. […] Ça disait : ‘J’autorise ma fille à dormir dans la même chambre que monsieur Untel durant son séjour dans tel pays.’”

Lors d’une conversation avec son amie Annie, qui lui raconte que son père l’a menacée si elle n’ouvrait pas la porte de sa chambre où elle s’était enfermée, Juliette livre une terrible définition de l’emprise quand elle aborde les menaces qu’elle a subies, de la violence psychique que subissent les enfants de la part de leurs abuseur·ses : “Non, toi c’est réel, quand tu fermes une porte, tu la fermes vraiment, c’est une porte entre ton père et toi, c’est quelque chose. Quand tu l’ouvres aussi, c’est une porte, tout peut avoir changé derrière. Moi, tu comprends pas, tu peux pas comprendre, mais les portes, tu vois, ça lui était égal. C’était quoi une porte entre lui et moi ? Rien. Un bout de bois. Alors que je l’ouvre ou que je l’ouvre pas, la porte, c’était idem. Tu vois, tu vois, ça changeait rien, il m’avait corps et âme. Alors un peu plus de corps, un peu moins, bof, il s’en foutait. C’est plutôt les fenêtres qui nous séparaient, si je m’approchais d’une fenêtre, il avait peur. Si je lui disais ‘Je vais passer mon permis’, ‘Je vais prendre la pilule’, là il avait peur. Contre lui, toutes ces fenêtres…”

Tout était déjà là, sous nos yeux, depuis si longtemps. Encore fallait-il savoir le lire, encore fallait-il vouloir le voir.

Point de côté de Judith Godrèche (Flammarion), 158 p., 17 €. Réédition en format électronique.

Édito initialement paru dans la newsletter livres du 7 mars 2024. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !



Source link : https://www.lesinrocks.com/livres/godreche-23-ans-avant-meetoo-611890-08-03-2024/

Author : Nelly Kaprièlian

Publish date : 2024-03-08 09:52:44

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