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Quand la musique s’expose au musée

Quand la musique s’expose au musée



Mercredi 6 mars 2024. J’ai rendez-vous devant l’Hôtel de Crillon, où deux estafettes dépêchées par la ville de Versailles attendent une poignée de journalistes invité·es au vernissage de l’exposition H5. Voir la French Touch : 30 ans de graphisme et de musique électronique, à l’Espace Richaud, l’ancien hôpital royal de la préfecture des Yvelines. Les copains et copines de Radio Nova sont là aussi, avec leur micro qu’il·elles tendent à tout-va.

Un peu en avance, je passe à la librairie anglaise Smith & Son, rue de Rivoli, pour mettre la main sur In the Jingle Jangle Jungle: Keeping Time with the Brian Jonestown Massacre. Il s’agit des mémoires de Joel Gion, le type à rouflaquettes qui fait du tambourin dans le groupe culte de la baie de San Francisco. En bas, au rayon magazines musicaux, se succèdent dans les étalages les titres de la presse anglaise dans leurs déclinaisons régulières ou hors-séries. En couverture : Paul McCartney jeune, les Talking Heads, Blur, Eagles, The White Stripes, Neil Young, Bob Dylan, Stevie Wonder, George Michael, ou encore Kate Bush. On dirait la boutique d’un musée.

H5 suscite la réflexion

En parlant de patrimoine, revenons à H5 : ce studio de création graphique monté en 1993 par Ludovic Houplain et Antoine Bardou-Jacquet est notamment connu pour avoir mis en images les pochettes de disques, puis les clips de la French Touch, contribuant au développement et à l’empreinte de ce courant musical protéiforme dont Daft Punk aura été la tête de gondole. Une particularité parmi d’autres : aucun artiste n’apparaît sur les pochettes, qui ne sont pas figuratives.

La plus iconique, qui bénéficie à l’Espace Richaud d’une installation toute particulière, est sans doute celle de Super Discount (1996), l’album fondateur d’Étienne de Crécy, avec son design assumant le détournement des codes visuels du marketing de la grande distribution. Houplain, Bardou-Jacquet et leur équipe ont-ils lu Baudrillard, Barthes, voire Debord ? Peut-être. Si l’idée est de dire que la musique est un bien consommable par le plus grand nombre, H5 réussira le prodige d’en faire le packaging parfait et de susciter chez l’auditeur·rice/consommateur·rice une réflexion.

Une telle association de malfaiteurs nous ramène à l’époque de Factory Records, le label mancunien de Joy Division et New Order, dont Peter Saville signera l’identité visuelle des albums. Sauf que H5 collaborera avec pléthore de labels (Source, Pamplemousse, ou encore Record Makers) et la jouera moins cryptique et plus pop. Avant de faire du cash dans la publicité, le studio parisien qui habillera toute la scène versaillaise y va à la démerde, sans un radis en poche, comme des punks avec des dégaines de scientifiques.

Ludovic Houplain, qui dirige la visite ce jour-là, évoque son travail avec les musicien·nes comme d’un job de laboratoire, justement, testant des choses tous azimuts. L’apanage de l’éthique de la débrouille. Dans le premier corridor de l’expo, qui rassemble au mur la reproduction de 160 pochettes, il prend l’exemple d’une simple photo qui servira de base à des maxis d’Air et de Cosmo Vitelli, pour un résultat final n’ayant pas, en apparence, grand-chose en commun.

Punk et Bérurier noir

DIY à fond. L’occasion de rappeler que la Bibliothèque nationale de France (BnF) consacre elle aussi une exposition à un pan important de la culture made in France : Bérurier noir. “La BnF met à l’honneur les premières archives du mouvement punk français à entrer dans les fonds d’une institution publique grâce au don de deux membres du groupe, Fanfan et mastO, fait à la Bibliothèque en 2021”, rappelle l’institution. Le punk au musée, quelle drôle d’idée déjà largement débattue à l’époque de l’exposition itinérante Europunk.

H5/Béru, deux facettes d’une certaine idée de la critique des temps modernes, encapsulées dans deux expos distinctes. Finalement, Smith & Son n’avait pas le bouquin de Joel Gion, alors je suis reparti avec le New Yorker. Dedans, un sujet de John Seabrook sur l’intelligence artificielle et l’industrie de la musique. De quoi reléguer les artistes, et nous avec, au musée. Pour toujours.

H5. Voir la French Touch : 30 ans de graphisme et de musique électronique, jusqu’au 5 mai, à l’Espace Richaud (Versailles).

Dans les archives de FanXoa et mastO de Bérurier noir, jusqu’au 28 avril, à la Bibliothèque nationale de France (Paris).

Édito initialement paru dans la newsletter Musique du 8 mars 2024. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !



Source link : https://www.lesinrocks.com/musique/quand-la-musique-sexpose-au-musee-611974-08-03-2024/

Author : François Moreau

Publish date : 2024-03-08 16:30:35

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