Pour peu qu’on soit fan de Dalida, le titre du premier film de Maxime Rappaz fait écho à l’une de ses chansons : “Laissez-moi aller jusqu’au bout du rêve […] Moi je vis d’amour et de risque/Quand ça ne va pas, je tourne le disque.” De la chanson à la fiction, c’est la même ritournelle : celle d’une femme qui joue sa vie à l’aune de sa liberté.
On la devine de dos, assise dans un train qui grimpe vers des sommets suisses. On ne sait pas encore qu’elle se prénomme Claudine, comme le col, accessoire d’une fausse sagesse. On comprend lorsqu’elle arrive à destination qu’elle n’est pas une touriste innocente mais la passagère d’un transit rituel qui, tous les mardis, la conduit dans un hôtel de haute montagne pour y consommer des rendez-vous expéditifs avec des hommes de hasard. On découvre surtout que c’est Jeanne Balibar qui joue Claudine. Sans elle, le récit ne serait pas aussi intrigant et fantasque.
Laissez-moi est à la fois un documentaire sur ses faits et gestes et une fiction de son comportement. Balibar dans tous ses états : fantôme de Kim Novak dans Vertigo (son chignon), transfuge d’Anouk Aimée dans La Dolce Vita (ses lunettes noires). À mi-chemin : Jeanne de toutes les beautés, pas seulement quand elle est nue, Balibar de toutes les métamorphoses. Sur les sommets, en altitude, une belle de jour qui s’adonne avec ardeur aux aventures de sa sensualité. Dans la vallée, en platitude, une mère célibataire, couturière à domicile, qui veille sur Baptiste, son fils handicapé (Pierre-Antoine Dubey, sublime).
Du haut au bas, de l’exceptionnel au prosaïque, la navette de la narration tisse ses fils, tente de les harmoniser et finit par les embrouiller : Claudine, rompant son pacte, tombe amoureuse d’un de ses fiancés de passage et devra choisir entre sa passion de femme et son dévouement de mère courage.
Si Laissez-moi nous enchante, c’est qu’il invente, au-delà de ce suspense, un conte gorgé de mystères irrésolus. La passion de Baptiste pour Lady Di dont il collectionne les photographies, imite les gestes, le sourire, et prend le deuil, l’action se situant à l’été 1997. Et aussi une litanie de noms de villes (Hambourg, Florence…) qui sont les mots de passe des amants de Claudine. Et surtout, sur fond de sonatines, une ponctuation de paysages (montagnes, barrage, nuages) cadrés comme des poèmes.
Claudine dit de son fils différent : “Il comprend les choses du monde, mais il a sa propre réalité.” Tout de tendresse humaine, Laissez-moi exalte ce modèle de perception qui n’a rien d’un handicap.
Laissez-moi de Maxime Rappaz, avec Jeanne Balibar, Pierre-Antoine Dubey (Sui., Fr., Bel., 2023, 1 h 33). En salle le 20 mars.
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Author : Gérard Lefort
Publish date : 2024-03-17 08:00:00
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