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Robert Wun : “Mon travail est décrit comme provocant, mais je ne cherche pas la controverse”

Robert Wun : “Mon travail est décrit comme provocant, mais je ne cherche pas la controverse”



25 janvier, niveau -1 du Palais de Tokyo  : le milieu de la mode se retrouve pour la présentation haute couture de Robert Wun, l’un des derniers défilés inscrits au calendrier de la semaine de la mode, clôturant dix jours de marathon, soit une moyenne de 40 collections décortiquées par des journalistes. Malgré la fatigue, le jeune créateur hongkongais – qui a choisi la voie sinueuse de la haute couture où les client·es sont rares – attise la curiosité.

La raison ? La dramaturgie de ses créations, jouant des codes coutures classiques, rappelle l’effronterie d’Alexander McQueen, tandis que la perfection technique de ses plissés, et le jeu de volume conduisent à évoquer les grands noms de la haute couture, Madame Grès, Mariano Fortuny y Madrazo ou l’Italien Roberto Capucci, excellent dans le plissé soleil.

Armour 2021

Best of en 24 looks

Le défilé commence. La première silhouette s’avance : robe noire longiligne, Fedora assorti et escarpins en guise de pochette du soir, le tout surmonté de cristaux dégoulinant comme des gouttes de pluie. La chanteuse Adèle portait un modèle similaire en août dernier au Caesar Palace. Suivent une robe embrasée, des tailleurs tachetés de peinture à la Pollock, rappelant ceux criblés de taches de vin de la collection haute couture précédente. Des tenues du soir sanglées façon BDSM, des manteaux corsetés ou parsemés de miroirs brisés inspirés par le personnage de Neo dans Matrix, apparaissent tels des itérations de silhouettes des collections passées. Wun est venu affirmer ses codes, qui se juxtaposent et s’actualisent ici, dans un défilé best-of en 24 looks.

La dramaturgie est au rendez-vous, et chaque tenue raconte une mini-histoire : un imper de Parisienne déconstruit porté avec un chapeau ensanglanté de perles, comme si le crâne de cette mondaine chic avait explosé. La mariée, silhouette qui clôt traditionnellement les défilés couture occidentaux, connaît plusieurs variantes, tel que le passage 23, avec voile et robe jonchée de broderies rouge sang. Une réminiscence de Beatrix Kiddo, dans Kill Bill ?

“J’aime le cinéma, les grands films qui m’emportent, comme ceux de Denis Villeneuve ou Hayao Miyazaki. Mon processus de design repose sur la création d’univers impactant. J’ai créé ma marque pour raconter des histoires. L’argent, la gloire : ça ne m’intéresse pas”, expliquait-il depuis son studio londonien à une semaine du défilé, ajoutant d’un ton serein : “Cette collection parle d’espoir, et plus généralement de gratitude. Je sens que j’ai enfin trouvé ma place. C’est un remerciement, à ma famille et à mon équipe, pour les 10 années écoulées”.

De l’ombre à la lumière

Trouver une place n’a jamais été une chose évidente pour Robert Wun qui a fini par créer ses propres cases. Né en 1989 à Hong Kong, il souligne à plusieurs reprises le peu de considération accordée aux créatif·ves en Chine, et tout particulièrement lorsque ces derniers sont homosexuels, comme lui. Il s’installe à Londres à 16 ans pour étudier la mode au London College of Fashion d’où il sort diplômé en 2012. Il passe par plusieurs maisons, et finit par établir sa marque en 2014, aidé par sa sœur. Rapidement il habille de ses tailleurs aux plissés aiguisés Lady Gaga ou Céline Dion et crée des costumes pour le film ado dystopique Hunger Games, mais il navigue dans l’ombre. Boudées par la fashion week de Londres, ses modèles plus couture que prêt-à-porter ne trouvent pas écho dans une ère vestimentaire oscillant entre l’esthétique streetwear de Virgil Abloh en poste chez Louis Vuitton, et les collections oversize inspirées de l’underground de Demna chez Balenciaga. “Je ne pense pas qu’il n’y a pas assez d’espace pour les jeunes designers, je pense plutôt qu’il n’y a pas assez d’espace pour différents types de designers. C’est aussi quelque chose en lien avec l’époque : la durée d’attention est de plus en plus courte. Tout le monde est obligé de faire la même chose, car sinon personne ne prend le temps de comprendre l’histoire”, explique-t-il.

Pendant le Covid-19, le gros de la création mode est bloqué. Il en profite pour construire sa collection de prêt-à-porter, la plus couture et camp en date. Corset, manches tels des ailes d’oiseaux, et superposition de plissé : la collection “Armour” est dédiée à sa grand-mère qui vient de le quitter, et célèbre la force et indépendance de cette dernière. Une historie personnelle qui se transforme en fable féministe contemporaine et attire Vogue, le magazine Interview et les stylistes hollywoodiens.

Anti-buzz

La haute couture, s’impose comme une suite logique. Aidé par le prix spécial de l’ANDAM 2022, il se lance. “C’est la seule plateforme sûre pour moi. Le prêt-à-porter est bombardé de premiers rangs, de buzz : la sur-communication élide le discours du créateur. Plus personne ne s’intéresse à l’histoire du vêtement, ce qui rend l’espace étouffant, d’autant plus pour les jeunes designers qui doivent lutter face à des géants qui font des défilés immenses”.

Sa première collection haute couture, inscrite au calendrier officiel en janvier 2023, est perçue comme une provocation. En particulier la robe de mariée en satin surmontée d’un voile en organza de soie, comme cramée par des mégots de cigarette. Une tenue portée en mai de la même année sur les marches du Festival de Cannes par la mannequin d’origine somalienne Rawdah Mohamed. “Ce n’était pas un statement, en tout cas ce n’était pas mon intention. Je lis parfois des articles décrivant mon travail comme provocant, mais je ne cherche pas la controverse. En revanche, je crois au pouvoir émotionnel de la beauté et j’ai le sentiment qu’en travaillant avec Rawdah pour ce tapis rouge si glamour, nous avons pu proposer une autre lecture de la beauté.”

Être reconnu comme un artiste

Cette recherche de nouvelles manières de dire la beauté anime Wun, lui qui a habillé Björk d’un manteau haute couture perlant de gouttes de sang : “Elle a choisi ce modèle avec sa styliste car cela faisait écho à certaines paroles qu’elle a composées. J’adore quand un artiste avec un fort univers parvient à se projeter dans le vôtre. On découvre de nouvelle version de son travail”.

Il poursuit : “Quand j’étais étudiant en mode à Londres en 2011, les gens ne parlaient pas encore autant de l’identité des créateurs et des questions d’héritage. En 2015, il y a eu une énorme vague de réflexion quant à la place des créateurs racisés, ce qui était génial et indispensable dans une industrie majoritairement blanche. Mais je n’ai pas envie d’être là simplement à cause de ma couleur de peau, ma nationalité, mon identité. Je veux être là par mon travail. Les autres designers d’origine européenne ou blanche américaine n’ont pas à parler de leur blancheur. Je ne sais pas si le système est conçu correctement ou s’il est conçu à dessein pour enfermer les gens de couleur dans une certaine boîte, de sorte qu’ils ne puissent évoluer”, conclut celui qui s’impose comme un conteur textile contemporain des plus pointus.

Comme Martin Margiela ou Alexander McQueen, il fait de ses créations des contes nivelés de références cinématographiques et musicales, démontrant que le propos de la mode porte plus loin.



Source link : https://www.lesinrocks.com/ou-est-le-cool/robert-wun-mon-travail-est-decrit-comme-provocant-mais-je-ne-cherche-pas-la-controverse-610606-20-03-2024/

Author : Manon Renault

Publish date : 2024-03-20 16:17:52

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Tags :Les Inrocks

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