L’élection présidentielle “la plus salement falsifiée de l’histoire du pays”. La conclusion de l’analyste électoral russe Ivan Shukshin est sans appel. Son étude pour l’ONG Golos, référence dans l’observation des élections en Russie depuis la chute de l’URSS (et évidemment classée “agent de l’étranger” par le Kremlin), est sans appel : près de 22 millions de voix auraient été ajoutées à Vladimir Poutine lors du scrutin du week-end dernier.Pour cela, celui-ci se base sur ce qui est appelé la “méthode Shpilkin”, du nom de son créateur, le statisticien russe Sergey Shpilkin. Le postulat est assez simple : plus la participation est élevée dans un bureau de vote (atteignant souvent des niveaux proches des 100 %), plus cela signifie que les commissions électorales locales ont largement trafiqué le résultat en faveur de Poutine. Cette méthode permet même de calculer le score qu’aurait “dû” obtenir l’autocrate du Kremlin sans falsification des résultats, mais sans oublier évidemment tous les autres outils du système autocratique russe (répression des opposants, pression sur les fonctionnaires d’Etat, autres candidats factices).22 millions de voix ajoutées à Vladimir Poutine : cela semble être la valeur sur laquelle s’arrêtent la majorité des principaux médias d’opposition russes, de la Novaya Gazeta à Meduza, de Golos au site indépendant Important Stories. Alors que la commission électorale russe a officialisé ce jeudi 21 mars, la victoire de Poutine avec un peu plus de 86 % des scrutins sur une participation de 77,49 % (soit près de 76 000 000 voix), cela signifie donc que près d’un tiers des votes pour le maître du Kremlin ont été falsifiés. En retirant cette fraude massive, la Novaya Gazeta estime ainsi que Vladimir Poutine n’aurait atteint que 57 % des voix.Une méthode assez précise, qui peut s’expliquer par le fait que “de façon surprenante, la commission électorale russe continue de publier les données sur chaque bureau de vote, ce qui permet de reconstituer la manière dont les autorités ont fabriqué ces résultats sans précédent”, souligne le média indépendant Meduza.Des preuves évidentes de fraudeUne fraude qui est donc documentée et souvent assez grossière, et qui a été observée dans de nombreux bureaux de vote. Une vidéo a notamment été largement diffusée par les réseaux d’opposition russe. La scène se passe à Saint Pétersbourg, la deuxième ville la plus peuplée du pays. On y voit une première femme s’approcher à genoux d’une urne électorale, suivie d’une autre quelques secondes plus tard, afin de bourrer une urne de bulletins. Le tout, sous les yeux du policier chargé de surveiller le bureau de vote, qui a malencontreusement le dos tourné tout le long de la séquence.A video has emerged online showing electoral fraud happening at a Russian polling station: two women are seen ballot box stuffing while a security guard pretends not to notice.
Media outlet Agentstvo has identified the polling station, it is located in St. Petersburg. pic.twitter.com/86Tjguzcib— Novaya Gazeta Europe (@novayagazeta_en) March 20, 2024Cette séquence illustre cette hausse “magique” de la participation et des votes pour Vladimir Poutine dans certains bureaux, avec de nombreux autres exemples criants. Le média d’opposition Sota. vision a par exemple mis en exergue le bureau de vote 201, à Moscou. “A l’appel de la commission électorale russe”, le nombre de bulletins pour Vladimir Poutine est miraculeusement passé de 411 à 628, tandis que tous les votes en faveur des autres candidats ont été réduits de moitié. De quoi passer de 57 % à 86 % des voix. Pareil dans le bureau de vote 205 de Moscou, où le président russe est passé de 471 bulletins au dépouillement à 623 à la proclamation des résultats, avec les voix pour les autres partis réduites à peau de chagrin.D’autres preuves illustrent également des niveaux de participation fictifs, fixés par les autorités, et auxquels les commissions électorales locales obéissent sans broncher. Ainsi, selon la Novaya Gazeta, au premier jour du scrutin, les 136 bureaux de vote de la ville de Stary Oskol (dans la région de Belgorod) ont tous enregistré le même taux de participation parfaitement exact de 47 %. Pareil dans un bureau de vote dans la région de Tula, dans le centre de la Russie, où 16 des 21 bureaux de vote ont enregistré un taux de participation identique.Enfin, le palme de la fraude revient peut-être à un bureau de vote dans la ville de Chebekino, 40 000 habitants, dans la région de Belgorod, où selon le journaliste du Monde Benoît Vitkine, le score de Vladimir Poutine aurait atteint… 100 % !Une répression toujours plus sévèreCette “méthode Shpilkin” fait toutefois face à des difficultés croissantes d’élection en élection, face au tour de vis toujours plus répressif opéré par Moscou. Avec en premier lieu une baisse massive des observateurs indépendants autorisés les jours d’élections. Or, l’expérience a montré que les bureaux de vote où des observateurs étaient présents faisaient l’objet de fraudes électorales bien moins importantes. Et ce sont justement ces bureaux de vote aux données plus fiables qui permettent de se projeter sur ce que pourraient être les résultats à l’échelle du pays.La mise en place du vote en ligne, introduit pour la première fois cette année pour la présidentielle russe, bouscule également les modèles. Car si le pouvoir n’a pas peur d’ouvertement truquer le scrutin au sein des bureaux de vote, que dire de la fiabilité de ce mode de participation en ligne, évidemment très opaque. Mais il empêche de voir les évolutions entre les scores au dépouillement et leur proclamation finale.Un problème qui s’est notamment produit à Moscou, où près de 70 % des électeurs ont voté en ligne, explique la Novaya Gazeta. C’est pourquoi le journal d’opposition, dont le directeur de la rédaction Dmitri Mouratov a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2021, a choisi d’exclure la capitale de ses calculs, faisant passer sa première estimation de 31,5 millions de faux bulletins pour Poutine à 22 millions.Le vote Davankov particulièrement réduitIl n’avait rien d’un féroce opposant à la politique de Vladimir Poutine, loin, très loin de là. Mais ses positions un tant soit peu plus nuancées sur la guerre en Ukraine, ainsi que son soutien accordé au candidat finalement exclu du scrutin Boris Nadejdine, ont valu à Vladislav Davankov d’être choisi comme le principal recours des électeurs anti-Poutine cherchant juste “le moins pire” contre le chef du Kremlin.Ainsi, selon les calculs de l’ONG Golos, le candidat du parti “Nouveau Peuple” aurait dû obtenir autour de 11 % du scrutin. Mais à force de trucages, Davankov a finalement obtenu un peu moins de 4 % des voix, le faisant arriver en troisième position derrière le candidat communiste Nikolaï Kharitonov. La faute à de très nombreux bureaux de vote où ses résultats ont été largement réduits, et ses bulletins redirigés en faveur de Poutine.Ainsi, par exemple, comme le rapporte encore Le Monde, se basant sur les travaux de l’ONG Open Media de l’oligarque en exil Mikhail Khodorkovsky, dans le bureau de vote même où Davankov votait, à Smolensk, les bulletins en sa faveur sont passés de 115… à 15 entre le dépouillement et l’annonce des résultats. Alors que de son côté, Vladimir Poutine passait de son côté de 77 % à 98 %, tandis que la participation passait miraculeusementde 64,5 % à 95,3 %. Selon la Novaya Gazeta, le candidat libéral aurait même obtenu près de 17 % des votes en physique à Moscou.Une manipulation grossière pour affaiblir le vote anti-guerre, qui n’a pas empêché Davankov de chanter ce lundi aux côtés de Vladimir Poutine sur la Place Rouge de Moscou pour le 10e anniversaire de la “réunification de la Crimée avec la Russie” (à comprendre l’annexion). Celui-ci a même déclaré souhaiter “la victoire” de la Russie en Ukraine, que Vladimir Poutine est “le seul” à pouvoir obtenir. Sans rancune pour le candidat fantoche, donc. Un peu plus pour l’état de la démocratie russe.
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Publish date : 2024-03-21 17:33:43
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