“Fille de”, “épouse de” ou “sœur de”. C’est souvent grâce à leur proche entourage masculin que les femmes artistes ont pu tirer leur épingle du jeu à une époque où l’accès aux corporations et aux académies artistiques leur était refusé. Entre 1500 et 1800, au nord comme au sud du Vieux Continent, elles sont bien plus nombreuses qu’on ne le soupçonne à œuvrer comme peintres, graveuses, professeures ou éditrices d’art. Certaines ont laissé un nom à la postérité, d’autres sont tombées dans l’oubli, mais toutes ou presque ont travaillé à un haut niveau d’exigence, à l’égal des hommes.C’est ce statut qu’éclaire l’exposition Femmes de génie présentée au Kunstmuseum de Bâle, en Suisse alémanique, jusqu’au 30 juin. Les historiens de l’art Bodo Brinkmann, Katrin Dyballa et Ariane Mensger y ont réuni des portraits, des natures mortes, des gravures et des eaux-fortes d’artistes italiennes, helvètes, flamandes ou allemandes de la Renaissance, du baroque et du classicisme.Parmi ces personnalités issues de familles d’artistes, Marietta Robusti (vers 1555-1590) assiste, très jeune, son célèbre père Jacopo, dit Tintoretto – Tintoret en VF –, dans la réalisation d’œuvres de commande. Dès l’enfance, parfois travestie en garçon pour ne pas être remarquée, l’aînée de la fratrie Robusti accompagne l’illustre maître partout, avant de devenir à son tour une coloriste hors pair, ce qui lui apporte la gloire et lui vaut le sobriquet de Tintoretta. Sur l’un des tableaux accrochés à Bâle, la Vénitienne se figure au côté de Jacopo Strada, antiquaire de l’empereur Maximilien II, qui, comme le roi d’Espagne Philippe II, souhaite la hisser au rang de peintre à la cour. C’est sans compter l’affection possessive du Tintoret pour sa fille, qui refuse en son nom ces honneurs et la marie à un joaillier local. Cette union sonnera le glas des ambitions de la Tintoretta, qui mourra prématurément en couches, âgée d’une trentaine d’années.Marietta Robusti, dite La Tintoretta, “Autoportrait avec Jacopo Strada”, vers 1567-1568.L’abandon de la palette par celles qui convolent en justes noces est alors la règle imposée. La Néerlandaise Judith Leyster (1609-1660), recherchée de son vivant par les commanditaires pour ses scènes domestiques innovantes, n’y déroge pas : elle lâche, bien malgré elle, le pinceau quand elle épouse le peintre Jan Miense Malenaer, même si elle continuera de le seconder dans l’ombre. Sa compatriote Maria van Oosterwijk, en vogue dans les cours européennes pour ses natures mortes florales baroques, fait, quant à elle, le choix radical de rester célibataire pour ne pas entraver sa carrière.Rares alors sont les artistes femmes qui, dépourvues de toute filiation dans les milieux artistiques, parviennent à atteindre les sommets de la célébrité. C’est pourtant le cas de la Lombardienne Sofonisba Anguissola (1532-1625), grâce à l’inlassable promotion ciblée d’un père humaniste qui n’eut de cesse de pousser ses enfants à développer leurs talents. Formée dans l’atelier du maniériste Bernardino Campi, Sofonisba est une portraitiste de premier plan, engagée comme peintre à la cour d’Espagne.Sofonisba Anguissola, “Autoportrait”, 1554.Deux siècles plus tard, signe de l’évolution très progressive des mœurs, Catharina Treu deviendra la première femme professeure dans une académie allemande et l’Autrichienne Angelika Kauffmann rejoindra la Royal Academy de Londres. Impensable quelques décennies plus tôt… Même si, celles-ci comme les autres, n’auraient jamais triomphé sans un soutien mâle, indispensable condition pour entendre retentir les trompettes de la renommée.
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Author : Letizia Dannery
Publish date : 2024-03-23 09:30:00
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