Discret employé de banque à Buenos Aires, Morán décide un jour de dérober 650 000 dollars à son entreprise, soit exactement le double de ce qu’il gagnerait jusqu’à sa retraite s’il travaillait tous les jours pendant encore un quart de siècle. Il confie ensuite l’argent à un collègue avec qui il partage la somme, en attendant de purger sa peine de prison.
Il y a dans ce geste pragmatique, sans surplus ni excentricité (le voleur prend “seulement” l’argent qu’il aurait touché au cours de sa carrière), toute la sève du film de Rodrigo Moreno : inverser le rapport entre loisir et travail en empruntant à l’imaginaire anarchiste. S’affranchir des modes de production capitaliste pour reconquérir son temps de vie, c’est précisément le ressort de Los Delincuentes, dont le récit va développer un nouveau rapport à la temporalité et rompre avec ce qui se déploie habituellement au cœur d’un cadre fictionnel.
Ainsi, bien plus que par sa durée de 3 h 10 (qui n’est plus un critère pertinent pour évaluer les degrés d’expérimentation narrative d’un long métrage, au regard de l’allongement des blockbusters hollywoodiens), c’est par la façon dont Moreno dynamite les conventions du film de braquage qu’il en inverse les pôles magnétiques.
Moins follement expérimental que ses compatriotes du collectif El Pampero Cine (Mariano Llinás, Laura Citarella, etc.), le cinéaste partage pourtant leur philosophie de la digression, cette façon de sculpter son récit tout en s’émancipant des règles narratives (rythme, structure). Le vol inaugural de Morán sera ainsi expédié et sa mise en scène, relayée par un régime d’images volontairement anti-spectaculaires. À ce qui était destiné à être le grand morceau de bravoure du film Moreno substitue une partie de campagne hédoniste, dont un sublime déjeuner renoirien aux bords d’une rivière. Étiré à l’extrême et d’une grâce irrésistible, c’est ce voyage qui contient toute la visée utopique de Los Delincuentes, son trésor libertaire.
Los Delincuentes de Rodrigo Moreno, avec Daniel Elias, Esteban Bigliardi (Arg., Chil., Br., Lux., 2023, 3 h 10). En salle le 27 mars.
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Author : Ludovic Béot
Publish date : 2024-03-23 07:00:00
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