Pour quelles raisons la pensée positive dans son ensemble (psychologie positive, éducation positive, développement personnel) continue-t-elle de se propager malgré des échecs évidents ? Cela fait des années que des hordes de bien-pensants rabâchent les mêmes refrains emplis de positivité béate sur les réseaux et dans les entreprises, or il n’y a jamais eu autant de mal-être dans les organisations, d’après la dernière étude QVTC d’Ipsos : 2 salariés sur 3 ne se sentent pas épanouis dans leurs fonctions, les burn-out ne cessent de flamber, et les arrêts de travail d’augmenter. Le baromètre de Santé publique France de février 2024 indique que la santé mentale des jeunes se détériore grandement. Enfin, la pédagogie positive n’a pas fait progresser le niveau des élèves, bien au contraire, comme l’atteste notre rang reculé au dernier classement Pisa. Pour quelles raisons alors les idéologies positives poursuivent-elles leur expansion, quand bien même leurs bienfaits se trouvent chaque jour démentis ?Si des esprits éduqués adhèrent à ces exhortations positives, c’est qu’une puissance y est à l’œuvre et que la raison y trouve des intérêts. Partons de ce présupposé kantien selon lequel ce sont des intérêts et non des arguments qui orientent la pensée dès lors qu’elle sort de la sphère scientifique. Kant dévoile les intérêts de la raison pour les questions métaphysiques (qui excèdent la sphère physique et donc scientifique) ; essayons de découvrir quels sont ces intérêts dans le cadre des approches positives (dont les cautions scientifiques et neuroscientifiques restent largement contestées). A la différence des médecins, détenteurs d’une forme d’autorité en ce qu’ils possèdent un savoir dont les patients restent à jamais privés, les apôtres de la pensée positive ne se présentent jamais comme des supérieurs, mais comme des compagnons de route sur le chemin des existences. Leur logique d’aide n’est pas verticale, mais horizontale et gorgée d’empathie égalitariste, ce qui peut rehausser une raison complexée par un sentiment d’infériorité. La pensée positive entretient par ailleurs la facilité et l’absence d’effort par son langage basique et sa réflexion élémentaire.Si seulement la pensée positive sortait de son dogmatisme… L’intérêt de la raison pour une initiation sans peine est facilement satisfait par ce prêt-à-penser simplificateur. L’immédiateté est également un des atouts que la raison trouve à ces méthodes. A quoi bon s’inscrire dans la temporalité longue d’une activité rigoureuse et exigeante si des recettes rapides nous promettent le bien-être et la plénitude en quelques semaines ? Enfin, le bien-être, le bonheur, l’accomplissement personnel ne sont plus que des questions de travail sur soi, de gestion des émotions et autres techniques comportementales pour le catéchisme positif. Le réel mute en fonction support, et la volonté en omnipotence. Rien de plus enthousiasmant qu’une impression de contrôle et un regain de maîtrise pour une raison égarée en quête de souveraineté. En somme, ce n’est pas parce qu’elles sont objectives et valables en soi que certains esprits adhèrent à ces recettes positives, mais bien parce que leurs désirs, leurs manques, leurs intérêts les y poussent. Dit autrement avec Spinoza, ce n’est pas parce qu’une chose est bonne qu’on la désire, mais c’est parce qu’on la désire qu’on la juge bonne.Si aucune justification objective et scientifique ne vient légitimer la pensée positive, elle peut ne pas perdre toute légitimité pour autant. A l’instar des religions, dépourvues de vérité objective mais porteuses de sens subjectif pour les croyants, la pensée positive pourrait devenir salutaire. Encore faudrait-il qu’elle maintienne son refus de l’autoritarisme sans nier l’apport de l’autorité ; qu’elle retienne l’idéal égalitaire sans persifler l’excellence ; qu’elle conserve l’objectif d’efficacité sans refuser l’effort dans la durée sans quoi rien n’est robuste ; qu’elle soutienne l’idée d’une volonté agissante tout en restant aux prises avec le réel et ses limites. C’est par ces ajustements que la pensée positive ne serait plus seulement un déballage de niaiseries en série truffées de clichés démagogiques, mais sortirait enfin de son dogmatisme… pour le bonheur de tous !* Julia de Funès est docteur en philosophie.
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Publish date : 2024-03-25 04:00:00
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