Après L’Asphyxie, L’Impuissance. Succédant à sa première exposition de peintures et de dessins à la galerie Les Filles du Calvaire, qui centrait son projet sur l’idée d’une respiration devenue impossible (L’Asphyxie, en 2020), la nouvelle exposition de Thomas Lévy-Lasne creuse ce sillon avec L’Impuissance en s’interrogeant sur notre paralysie collective à prendre la mesure du chaos climatique et politique, que nous contribuons à alimenter par notre cécité même.
Avec cette série de peintures inédites, auxquelles s’ajoute sa série déjà connue des “Distanciels” (portraits au fusain de visages exécutés par zoom pendant la pandémie), le peintre, formé aux Beaux-Arts de Paris, représente le monde tel qu’il le voit, c’est-à-dire tel qu’il est, en choisissant une focale en apparence réaliste et frontale, mais discrètement oblique et poétique. Ses toiles qui portent en elles des récits immédiatement intelligibles, traduisent une forme d’inquiétude, sourde mais visible. Des questions existentielles se cachent sous la couche de ses aplats et de ses traits ultra-réalistes. Même ses plages désertes et tranquilles semblent semées d’embûches et de pavés. Ses scènes de contemplation se déploient dans des décors sociaux mouvants, sans principe de continuité, oscillant entre des plages et des murs, des contestations militantes et des visites touristiques.
Rien de commun ne rassemble les éléments disparates au cœur des toiles, sinon l’idée d’une tristesse diffuse, sinon le sentiment d’un aveuglement face à ce que nous faisons du monde. S’inspirant d’images d’actualité, fabriquées par les journaux ou les télés, Thomas Lévy-Lasne s’attarde sur des gestes et des mouvements pour en faire des allégories, entre rire et désenchantement, entre affliction et résignation. C’est aussi le sentiment d’inertie générale qu’il capte, à l’image de ces policiers embourbés dans la gadoue lors d’une manifestation d’activistes écologistes en Allemagne.
“Éthique” de peintre
Observer le monde convoque une éthique du regard, capable de retenir les défauts esthétiques et les faillites morales qu’il comporte. Sa peinture privilégie la remise en question du réel sur l’occultation des scories du monde. Une plage, même lorsqu’elle saisit le regard au coucher du soleil, avec ses reflets dorés sur le sable chaud, fait place à une poubelle en plastique au premier plan ; une autre plage infinie, à Ostende, se laisse envahir par les immeubles urbains et la montée des eaux à venir. Sa toile la plus saisissante, Dans la serre, qui représente une foule faisant la queue dans un jardin artificiel, comme si les humains avaient accès au monde végétal uniquement dans un espace fermé, illustre son “éthique” de peintre, en ce qu’elle traduit, par-delà le sujet politique qu’elle convoque, un traitement pictural du fourmillement des plantes aussi intense que celui des humains. Par la peinture, et le soin précis du pinceau porté sur ce que l’on détruit, une idée de la puissance s’exprime.
On devine dans ses gestes la volonté de Thomas Lévy-Lasne de questionner les dérives de nos modes de consommation et de production, au péril du monde vivant (comme en témoigne en sous-sol d’une vidéo interpellant les visiteur·euses sur ses modes d’existence). Ce n’est pas par hasard qu’il fasse place dans l’exposition à une phrase du poète Francis Ponge, tirée du Monde muet est notre seule patrie : “Il suffit d’abaisser notre prétention à dominer la nature et d’élever notre prétention à en faire physiquement partie, pour que la réconciliation ait lieu. Quand l’homme sera fier d’être non seulement le lieu où s’élaborent les idées et les sentiments, mais aussi le nœud où ils se détruisent et se confondent, il sera prêt alors d’être sauve”. L’impuissance que l’exposition tend à saisir se fixe sur cet impossible salut.
Thomas Lévy Lasne, L’Impuissance, Galerie Les filles du calvaire, jusqu’au 11 mai 2024
Source link : https://www.lesinrocks.com/arts-et-scenes/limpuissance-thomas-levy-lasne-peint-la-detresse-du-monde-contemporain-613709-25-03-2024/
Author : Jean-Marie Durand
Publish date : 2024-03-25 15:44:45
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