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“Bérénice” : quand la transgression artistique énerve

“Bérénice” : quand la transgression artistique énerve



Disons-le d’emblée : Bérénice mise en scène par Romeo Castellucci et interprétée par Isabelle Huppert est sublime. Forcément sublime, aurait ajouté Marguerite Duras. Romeo Castellucci, qui n’a cessé de nous éblouir depuis la découverte de Genesi : from the Museum of Sleep en 2000, propose une plongée fascinante aux tréfonds de la détresse du personnage racinien – à la façon du fameux soliloque de Molly Bloom de James Joyce.

Un grand plongeon dans les affres écœurantes et étourdissantes de douleur d’un amour sacrifié, démoli, renié. Une performance qui s’empare de la tragédie racinienne avec une liberté folle et une confiance absolue dans la capacité du théâtre à métamorphoser la condition humaine, à la fois comme objet de contemplation et comme sujet d’expérience, d’autant plus puissant qu’il est vulnérable.

Des relents réactionnaires

Mais voilà… ces derniers jours, après une série de critiques pour le moins mitigées dans la presse quotidienne, on entend surtout parler de Bérénice pour l’accueil (sic) déplorable que lui réserve une partie du public. Celle que l’on connaît bien quand on va à l’opéra par exemple, où il est de bon ton de huer à tout-va les mises en scène qui ne vont pas dans le sens du poil. Krzyzstof Warlikowski en a souvent fait les frais à l’opéra Bastille en proposant des œuvres inoubliables et ça ne l’a d’ailleurs pas empêché d’offrir, depuis des années, quelques joyaux, d’Iphigénie en Tauride à Parsifal.

De même que Romeo Castellucci a subi les foudres de Civitas en 2011, avec Sur le concept du visage du fils de Dieu, les intégristes religieux manifestants devant le théâtre de la Ville pour en empêcher les représentations. Si, depuis août 2023, la dissolution de l’organisation Civitas a été lancée par Gérard Darmanin, la bêtise et la méchanceté gratuite ne se dissolvent pas sur décret gouvernemental, hélas…

S’épargner l’obscurantisme

Suite à la tribune parue dans Libération de Mathieu Bernamm et Anthony Berthon, atterrés et attristés par la violence verbale d’un spectateur apostrophant Isabelle Huppert en pleine représentation, l’affaire a pris un nouveau tour médiatique. Notamment sur France Inter, où de la chronique de Lucile Commeaux, revendiquant “le théâtre comme lieu de chahut“ au billet, grossièrement potache, de Daniel Morin, en passant par l’article de Didier Péron dans Libération, il s’avère finalement de bon ton d’en revenir à cette bonne vieille tradition d’un public clamant haut et fort son désaccord. Surtout, écrit Didier Péron : “À l’heure des polémiques flashs sur les réseaux sociaux, où tout le monde s’insulte à longueur de journée, on constate une tendance plutôt inverse dans l’espace des théâtres et cinémas à une grande docilité ou civilité du public, inversement proportionnelle à la foire d’empoigne numérique.“

Eh bien non. NON ET NON. Je pense souvent à ce titre magnifique de la pièce de Jean-Luc Lagarce, Les Règles élémentaires du savoir-vivre. Lesquelles nous font tant défaut aujourd’hui, au point que pour certain·es, il est tout à fait approprié de s’approprier les créations d’une star ou d’une diva, d’en faire un objet de consommation qu’on jette quand il ne nous plaît plus, ou qu’on insulte et qu’on lapide symboliquement, car c’est bien à ça que revient le fait de huer, verbe antonyme d’applaudir ou ovationner.

Il y a effectivement, comme le dit (pour mieux le justifier) Didier Péron, suffisamment de violence dans le monde et les colonnes de nos journaux, pour préserver un espace où la transgression et l’aventure artistique ont droit de cité. Et libre à ceux qui n’aiment pas de partir. En silence. Hier, 27 mars, veille de la dernière de Bérénice à Paris avant une longue tournée européenne, pas une seule huée n’a perturbé le spectacle. Mieux encore, comme il est de coutume de le faire en Russie au théâtre, une spectatrice est venue offrir un bouquet de fleurs lors des saluts à Isabelle Huppert. L’art est précieux, ne le matraquons pas.



Source link : https://www.lesinrocks.com/arts-et-scenes/berenice-quand-la-transgression-artistique-enerve-614206-28-03-2024/

Author : Fabienne Arvers

Publish date : 2024-03-28 16:30:38

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