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Jaione Camborda : “J’essaie de montrer que les corps et la nature sont la même chose”

Jaione Camborda : “J’essaie de montrer que les corps et la nature sont la même chose”



Pouvez-vous nous raconter la genèse de O Corno, une histoire de femmes ?

Jaione Camborda – Il était important pour moi d’explorer cette idée, la capacité des femmes à donner naissance ou à décider de ne pas le faire. Je me posais beaucoup de questions à ce sujet. Lorsque je commence un film, je multiplie les interrogations, si j’ai beaucoup de réponses, ce n’est pas intéressant pour moi. Et normalement, je termine sans en avoir. Je ne cherche pas à obtenir de réponses sur les grandes problématiques des êtres humains. Il s’agit plutôt d’un dialogue.

La question du féminin et de la sororité transparaît non seulement dans les images du film, mais dans la manière dont il est fabriqué…

Je pense que O Corno parle de la façon dont nous regardons le monde. Mais il faut aussi que cela se traduise dans la réalité. C’est pourquoi, le film est produit par trois femmes. Cela s’est fait de manière naturelle, parce que c’était un thème qui était très important pour nous. Il y avait aussi beaucoup de femmes dans les rôles principaux. Il y a aussi quelques hommes, comme Rui Poças, directeur de la photographie, qui est un véritable maître de la lumière. Il a un regard très sensible sur le monde. Il est également féministe, et a une sensibilité féminine d’une certaine manière.

Avez-vous ressenti une différence par rapport à votre premier film ?

Arima a été très difficile à réaliser. Parce que je l’ai autoproduit, j’ai été très seule dans la production. Le budget était vraiment réduit, au total, il a fallu 16 ans pour financer le film et trois semaines pour tourner. Il y avait aussi beaucoup de femmes, et même si l’équipe était moins nombreuse, nous étions une grande famille. C’était vraiment difficile de tourner Arima, mais le bon côté des choses, c’est que j’ai beaucoup appris, et j’en suis très fière. À travers ce film, j’ai essayé d’explorer l’être humain de manière plus psychologique, cette partie corporelle et mammalienne de l’être humain.

Le choix de la danseuse Janet Novás pour interpréter le rôle principal s’inscrit-il dans cette même direction d’explorer le corps plutôt que la psychologie ?

Oui, bien sûr. Pour moi, il était essentiel de revenir au corps, de se rappeler que nous sommes aussi des animaux. Il était important de pouvoir ressentir ce personnage de manière physique. La relation avec le monde et les émotions se faisait à partir du corps et vers le corps. Janet est une danseuse extrêmement intéressante. J’ai eu la chance de la voir danser il y a 10 ans. J’ai vu qu’elle avait une grande présence. De plus, elle travaille beaucoup à l’instinct. Je l’ai invitée au casting, et j’ai pu constater qu’elle avait un talent pour développer des mouvements émotionnels de manière cinématographique.

Votre film s’ouvre sur une scène d’accouchement à couper le souffle. Comment avez-vous réalisé cette scène très puissante ?

Je savais que cette scène était très importante alors j’ai essayé d’y apporter beaucoup de soin. Nous avons eu suffisamment de temps pour le faire pendant le tournage. J’ai tourné des prises très longues, d’environ 20 minutes. J’ai voulu saisir ces moments entre les spasmes de douleur, ces moments où rien ne se passe et où quelque chose est suspendu dans l’air, dans le temps. Je pense que ces moments n’ont pas été assez montrés au cinéma alors que c’est très important. Accoucher, c’est un long moment. Ce n’est pas seulement la dernière minute quand le bébé arrive. Ce moment, on l’a vu plein de fois au cinéma, mais pas le temps d’avant, ce lent processus. Je voulais aussi me souvenir de cet aspect animal dans ces scènes. Lorsque j’ai eu mon propre enfant, j’ai vu que c’était l’un des moments où la vie se souvient de vous et que, très clairement, que vous êtes un animal mammalien.

“Lorsqu’une fille meurt à la suite d’un avortement clandestin, le meurtrier n’est pas la femme qui l’a aidée, mais le patriarcat”

Pouvez-vous nous parler du dialogue que le film établit entre les corps de ces femmes et la nature qui les entoure ?

Pour moi, il ne s’agit pas d’une relation ou d’un dialogue. J’essaie de montrer que les corps et la nature sont la même chose, font partie d’une même entité. On ne peut pas les séparer. J’essaie de le faire d’une manière cinématographique avec les cadres sans ciel, avec les gens, avec tous les personnages très liés à la terre. Cela passe aussi, par exemple, par les costumes, les couleurs qui sont les mêmes ou quelque chose qui ressemble à la nature qui les entoure. J’essaie d’éliminer la distance entre le personnage et la nature.

À l’heure où l’avortement et son accompagnement sont menacés par les gouvernements réactionnaires du monde entier, ce n’est pas seulement l’Espagne des années 1970 que regarde le film. C’est aussi notre époque ?

Il était important de replonger dans une époque où il y avait cette interdiction des corps afin d’établir un dialogue avec le présent. C’est pourquoi j’ai choisi d’aller vers l’Espagne franquiste tout en créant une esthétique atemporelle pour que le spectateur puisse oublier que le film se passe dans les années 1970 et qu’il ait une impression et une expérience d’aujourd’hui. Certains partis politiques pensent qu’il faut revenir au passé en ce qui concerne l’avortement ou les droits des femmes. Il faut ce souvenir de cela et comprendre que lorsqu’une fille meurt à la suite d’un avortement clandestin, le meurtrier n’est pas la femme qui l’a aidée, mais le patriarcat. C’est cette interdiction qui tue. Il faut aussi se rappeler que ce sont les femmes qui font l’avortement. Ce n’était pas légal et elles mettaient leur vie en danger. J’admire beaucoup ce qui s’est passé en France avec la constitutionnalisation de l’avortement. Évidemment, nous voulons à à notre tour que ce droit soit inscrit dans la constitution espagnole. Nous allons devoir nous battre pour cela.

O Corno ­– Une histoire de femmes de Jaione Camborda, avec Janet Novás, Julia Gómez, Nuria Lestegás (Esp., Por., Bel., 2023, 1 h 45). En salle le 27 mars.



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Author : Ludovic Béot

Publish date : 2024-03-27 17:10:55

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