*.*.*
close

“Dear Jean Pierre”, quand David Wojnarowicz documentait sa grande histoire d’amour

“Dear Jean Pierre”, quand David Wojnarowicz documentait sa grande histoire d’amour



Le 14 septembre 1978, pour son vingt-quatrième anniversaire, David Wojnarowicz débarque à Paris. Une ville qu’il fantasme et où il imagine s’installer, autant pour fuir l’Amérique qu’il déteste que pour se rapprocher de ses héros, Arthur Rimbaud et Jean Genet.

Né en 1954 dans le New Jersey, la grande banlieue de New York, abandonné de ses parents, David est trimballé de familles en structures d’accueil quand il n’est pas enfermé en prison pour vagabondage. Enfant battu et abusé sexuellement, prostitué dès 12 ans, il traîne entre squats et appartements miteux, se shoote à l’héro, documente ses aventures. Puis guidé par son amour de la Beat Generation, il traverse les États-Unis en stop, baise sur les aires d’autoroutes, prend des photos mais, sans fric pour payer le développement, laisse les pellicules dans les consignes des gares routières. Toutes ces expériences nourriront son livre uppercut, Au bord du gouffre.

C’est dès son arrivée à Paris, dans les buissons des Tuileries, haut lieu de la drague gay, que David va rencontrer celui qui va devenir l’un des grands amours de sa vie, Jean Pierre Delage, un jeune coiffeur chez qui il va vite s’installer. Mais son désir de rester en France est vite compromis par son français approximatif et sa difficulté à trouver un job.

Neuf mois après son arrivée, David retourne à New York, vit de petits boulots et continue à écrire, photographier, dessiner, faire de la musique avec 3 Teens Kill 4. Mais surtout, il entretient une relation transatlantique intense avec Jean Pierre à base de cartes postales, de lettres, de dessins, de photos ou de ses premières œuvres photocopiées, comme les masques avec le visage de Rimbaud qu’il fait porter à ses amis ou à Jean Pierre, quand il lui rend visite, dans des lieux symboliques de New York.

Longtemps inconnue du grand public – Jean Pierre Delage ayant longuement hésité à la dévoiler –, cette correspondance prolifique, étalée entre 1979 et 1982, est enfin compilée en un livre somme, plus de six cents pages, dont la magie et l’intensité laissent sans voix. Document exceptionnel où tout l’art du collage et de la juxtaposition de Wojnarowicz transparaît, Dear Jean Pierre dévoile une autre facette de la personnalité complexe de David.

L’artiste en colère (et à raison), aux œuvres cinglantes comme des coups de poing, face à l’épidémie de sida dont il va mourir en 1992, laisse la place à un jeune homme tendre et éperdument amoureux qui narre son quotidien, ses galères, ses doutes, ses virées sexuelles, ses premières œuvres, sa rencontre avec le photographe Peter Hujar qui va devenir son amant, son mentor et son plus grand confident… Avant que la distance et une infidélité de Jean Pierre avec un ami de David mettent fin à leur histoire d’amour.

Le plus troublant dans ce scrapbook d’une beauté à couper le souffle est qu’au final, cette correspondance à sens unique, les lettres de Jean Pierre étant perdues, ne lève pas vraiment le voile sur le mystère insondable qui entoure l’œuvre protéiforme de Wojnarowicz. Ni sur celui qui déclarait sans ciller que s’il n’avait pas trouvé la voie de l’écriture et de l’art, en bon serial killer, il serait monté au sommet d’un château d’eau muni d’un fusil et aurait tiré dans le tas.

Dear Jean Pierre de David Wojnarowicz (Primary Information), 616 p., 40 €. En librairie.



Source link : https://www.lesinrocks.com/arts-et-scenes/dear-jean-pierre-quand-david-wojnarowicz-documentait-sa-grande-histoire-damour-avec-un-francais-613785-07-04-2024/

Author : Patrick Thévenin

Publish date : 2024-04-07 06:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags :Les Inrocks

..........................%%%...*...........................................$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$--------------------.....