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Fin de vie : cette mesure au cœur du projet de loi qui provoque un vif débat

Le projet de loi Fin de vie constitue la grande réforme sociétale du second quinquennat d'Emmanuel Macron, qui s'était engagé de longue date à changer la législation sur la fin de vie




Rarement projet de loi aura concentré autant de compromis sociétaux et politiques en si peu de pages. L’exécutif le sait, chaque ligne du texte “relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie”, présenté le 10 avril en Conseil des ministres et examiné à l’Assemblée nationale à partir du 22, sera scrutée avec la plus grande attention. Depuis des mois, le gouvernement consulte, organise des débats, cherche la voie de passage entre les souhaits exprimés par une majorité de citoyens d’une évolution de la loi Claeys-Leonetti, le refus du suicide assisté et de l’euthanasie au nom de la primauté de la vie porté notamment par les religieux et les demandes de garde-fous exigés par les médecins. Mais à trop chercher le subtil équilibre, il a fini par laisser échapper une disposition anodine d’apparence, mais qui fragilise tout l’édifice : la possibilité de demander de l’aide à des proches dans l’ultime phase d’une euthanasie.La mesure se niche au cœur du texte : “l’administration de la substance létale est effectuée par la personne elle-même. Lorsque celle-ci n’est pas en mesure d’y procéder physiquement, l’administration est effectuée, à sa demande, soit par une personne volontaire qu’elle désigne lorsqu’aucune contrainte n’y fait obstacle, soit par le professionnel de santé présent.” En clair, si le patient n’entre pas dans la catégorie des suicides assistés parce qu’il n’est pas capable d’avaler seul le produit létal, mais dans celle de l’euthanasie, un proche, un ami, un membre de la famille ou un membre d’une association pourra réaliser le geste qui conduira à la mort si aucun soignant n’est prêt à l’assister.Cette option n’a pourtant jamais été évoquée lors de la convention citoyenne qui s’est tenue de décembre 2022 à mars 2023. Il paraissait alors évident que, si l’euthanasie devait être légalisée, un soignant effectuerait le geste, comme dans les pays ayant déjà autorisé cette pratique. Ainsi, en Belgique, où l’euthanasie est légale depuis 2002, seuls les médecins sont autorisés à la pratiquer. “C’est une garantie de protection du patient. On sait que le médecin emploie les bons produits, fait convenablement le geste”, souligne Yves de Locht, médecin généraliste à Bruxelles, qui en effectue régulièrement. “C’est à nous de prendre la responsabilité de l’acte, ça découle de notre travail de médecin que de ne pas abandonner le patient”, insiste Corinne Vaysse-Van Oost, praticienne en soins palliatifs en Belgique.Interrogations médicales, juridiques et déontologiquesAlors, quelle mouche a piqué l’exécutif ? Beaucoup y voient le signe de sa volonté de ne pas heurter les médecins. Arguant du fait que leur vocation est de soigner et d’accompagner leurs patients jusqu’au bout et non d’accélérer leur trépas, beaucoup sont, en effet, opposés à l’idée d’être impliqués dans une procédure d’aide active à mourir. “Est-ce que le président cherche à désengager au maximum les médecins ? Emmanuel Macron propose quelque chose qui ménage la chèvre et le chou”, regrette Nathalie Andrews, membre de l’association Le Choix, favorable “à une mort choisie”. “C’est un impensé, ils sont coincés par le fait qu’ils ne veulent pas fâcher les médecins”, ajoute Denis Labayle, militant de longue date de l’aide active à mourir. Du côté de l’exécutif, on minimise la portée de cette disposition. “L’idée était d’ouvrir les possibles selon les cas, énonce un conseiller élyséen. Ce seront des cas extrêmement réduits, l’exception dans l’exception, pour les personnes qui ne sont pas en mesure d’absorber elle-même.”Celle-ci ouvre portant un vaste champ d’interrogations médicales, juridiques et déontologiques auxquelles l’exécutif n’apporte pas de réponse. Même les plus convaincus des militants de l’aide à mourir en conviennent, nombre de questions très concrètes sont en suspens. Le texte prévoit, par exemple, que “lorsqu’il n’administre pas la substance létale, la présence du professionnel de santé aux côtés de la personne n’est pas obligatoire”. En l’absence de médecin ou d’infirmier, un proche, qui n’aura jamais effectué le geste auparavant et n’aura pas de formation médicale, saura-t-il réagir à un imprévu ? “La préparation létale a un très mauvais goût, imaginons que la personne ne la boive pas jusqu’au bout et qu’elle tombe dans le coma, mais ne meure pas…”, questionne Nathalie Andrews. Même Yves de Locht ne pratique plus d’euthanasie à domicile depuis quelques années, mais toujours à l’hôpital et avec un confrère pour avoir du renfort de personnel hospitalier en cas de difficulté.Pour tenter de rassurer, le gouvernement a ajouté, dans la version du texte présenté au Conseil des ministres, que le soignant “doit toutefois se trouver à une proximité suffisante pour pouvoir intervenir en cas de difficulté”. Sans lever tous les doutes. Ni les flous juridiques. Comment savoir ce qui se passera dans une pièce où les médecins et infirmiers ne seront pas présents ? Comment éviter qu’un couple ne décide de mourir ensemble après qu’un seul des deux ait demandé une aide active à mourir ? Comment s’assurer que la personne ne changera pas d’avis au dernier moment, laissant des proches, parfois héritiers ou fatigués de porter la charge d’une maladie, face à un dilemme que certains pourraient être tentés de trancher au prix de l’illégalité ? Sans parler des conséquences que le choix d’aider à mourir un proche, une mère, un frère ou une sœur, peut avoir au sein d’une fratrie ou d’une famille dont tous les membres ne partageraient pas les mêmes convictions. Ni même des soupçons qui pourraient naître de dispositions financières plus favorables pour celui ou celle qui a aidé et qui nourriraient des jalousies. Un médecin ou une personne extérieure à la famille a l’avantage de n’avoir aucun intérêt d’aucune sorte.Quel suivi psychologique ?Enfin, le projet gouvernemental ne prévoit rien pour prévenir les éventuels effets psychologiques d’un geste – aider quelqu’un à mourir – nouveau dans la société et dont on mesure mal l’impact. “Sur le plan conscient, l’être humain peut accepter un geste qui peut être de l’ordre de la compassion, mais on ne connaît pas les conséquences à moyen et long terme sur le plan inconscient”, distingue Jean-Jacques Bonamour du Tartre, psychiatre et ancien président de la Fédération française de psychiatrie. Ceux qui ont déjà accompagné des proches dans une procédure de suicide assisté ou d’euthanasie même sans être impliqués directement savent que les moments d’après n’ont rien de facile. Pascal Le Mignant qui, en 2022, est allé en Belgique avec Guy, son compagnon atteint de la maladie de Charcot, reconnaît qu’il était plus aisé pour lui de s’appuyer sur un médecin. “Mais je l’aurais fait sans problème pour Guy, vu l’état de Guy”, raconte-t-il. Avant d’ajouter : “Mais, en effet, un tel geste peut être traumatisant pour un proche. Mon cas était différent, mais c’est moi qui ai téléphoné en Belgique pour dire que nous arrivions et, même si je sais que c’était la meilleure chose à faire, j’y repense parfois en me demandant : est-ce qu’on n’y est pas allé trop tôt ?”Même les médecins disent l’émotion qui les envahit lorsqu’ils accomplissent ce qu’ils considèrent pourtant comme leur devoir. “C’est le dernier soin, ce n’est pas nous qui provoquons la mort, on abrège les souffrances, mais c’est un moment intense, les proches sont là, en pleurs, ils se jettent dans vos bras. Pour gérer cette émotion, je me promène, je vais parfois à la mer, j’en parle avec ma femme et avec le médecin qui était là avec moi, je ne reste pas seul avec ce que j’ai fait”, souligne Yves de Locht, le généraliste belge. La présence de son collègue est particulièrement précieuse : “C’est libérateur d’en parler ensemble car nous avons vécu la même chose, nous étions tous les deux autour du lit.”Nul n’imagine aujourd’hui laisser des proches seuls après avoir effectué un tel geste. Tous les acteurs plaident a minima pour prévoir un suivi psychologique. Mais la plupart aimeraient clarifier les différentes questions en suspens avant l’entrée en vigueur de la loi pour éviter que des cas spectaculaires ou mal définis fragilisent ses premiers mois d’application. “En Belgique, le cadre est très clair, facile à enseigner. Il faut que cet acte grave soit bien balisé pour que, sur un plan éthique, on se sente à l’aise”, défend Corinne Vaysse-Van Oost. A moins que le gouvernement n’en vienne, lors de la discussion parlementaire, à abandonner cette option du “volontaire” pour se rapprocher du modèle d’Outre-Quiévrain où seuls les patients ou des médecins sont autorisés à administrer la substance létale.



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Author : Agnès Laurent

Publish date : 2024-04-11 17:00:00

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