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“Macron, tout le monde dit qu’il ne m’aime pas” : Bruno Le Maire, ce sentiment d’injustice qui le ronge

Le président Emmanuel Macron (G) écoute son ministre des Finances Bruno Le Maire (D) à l'Elysée, Paris, le mars 2023




Parfois, Bruno Le Maire agace Gabriel Attal. Très exceptionnellement, le Premier ministre exprime son exaspération contre “son” impétueux ministre de l’Economie, et a aussi le bon goût de choisir son public. En février, il confie à Eric Ciotti ses doutes sur la loyauté de son ministre. Ce n’est pas le président LR qui le démentira. Le 26 mars, l’heure n’est plus aux soupçons mais à la franche colère. Bruno Le Maire vient de répondre à l’Assemblée à Véronique Louwagie, députée LR modérée davantage soucieuse de travailler en harmonie avec l’exécutif qu’obsédée à l’idée de le faire tomber. “Je vous épargne les 1 743 amendements du groupe LR pour 127 milliards de dépenses, car je n’ai que deux minutes pour vous les présenter”, étrille le locataire de Bercy. La majorité glousse, Gabriel Attal tique. La droite est susceptible. Avec cette charge, le ministre de l’Economie ne la pousse-t-il pas à la censure ? “C’est son objectif, je crois…”, fulmine en privé le chef de gouvernement.L’amitié s’étiole là où les intérêts divergent. Cette règle d’airain de la politique semble avoir été bâtie pour Gabriel Attal et Bruno Le Maire. Deux ambitieux aux convictions jumelles. Mais deux hommes soumis à des injonctions divergentes. Un Premier ministre chargé de cajoler une majorité diverse – il a échangé ce mardi 9 avril avec une quinzaine d’élus de l’aile gauche – et de ménager une droite prête à déclencher le feu nucléaire. Gabriel Attal s’entend bien avec Eric Ciotti, échange avec ses troupes et se garde de toute provocation envers eux. “Il n’est pas dans la conflictualité, mais dans le dialogue”, assure un conseiller de l’exécutif. Le ministre de l’Economie n’a pas ces pudeurs. Il lâche ses coups et met en scène son orthodoxie budgétaire en symbole de courage politique. “Chacun raisonne selon ses contraintes et ses intérêts”, note une ministre. Le tout sous le regard d’un président passablement agacé par le locataire de Bercy, mais pas exempt de contradictions intimes.La rigueur en étendardCette histoire commence par un cadeau. Ce mercredi 13 mars, Bruno Le Maire offre à Emmanuel Macron son dernier livre à la fin du Conseil des ministres. La Voie française (Gallimard) : un ouvrage aux accents programmatiques de 160 pages. Au moins, sa lecture sera moins fastidieuse que les 1 000 pages du projet présidentiel de “BLM” en 2016. Le livre, écrit pendant les vacances de Noël, est publié en pleine crise des finances publiques. Bruno Le Maire y consacre un chapitre à la “France désendettée” et prône un nouveau modèle social moins coûteux. “Le genre de débat qu’on ne tranche pas en milieu de quinquennat, mais lors d’une présidentielle”, juge un ministre.Le locataire de Bercy n’a pas la rigueur honteuse, il la brandit en étendard. Comme lorsqu’il annonce sur TF1 une hausse des tarifs de l’électricité, anecdote fièrement racontée dans son ouvrage. Ses amis exhument de vieilles déclarations. N’a-t-il pas affirmé dès août 2022 que la France était à “l’euro près” ? Décrété la fin du “quoi qu’il en coûte” en août 2021, avant d’être rattrapé par la guerre en Ukraine ? On énumère les arbitrages perdus sous Jean Castex et Elisabeth Borne, décidément moins sensibles à la dégradation des comptes publics. Qu’il est rare de voir un élu revendiquer ses défaites ! Un ancien ministre sourit de cette tentative de faire cohabiter cette image de “père la rigueur” et son bilan. “Il était solidaire de la ligne. Soit c’était trop grave et il fallait partir. Soit il est en phase avec, et il en est coresponsable. Il cherche un entre-deux, mais ne le trouve pas.”Maudit PLFRIl faut bien essayer. Gabriel Attal et Bruno Le Maire partagent le même refus d’une hausse de la fiscalité. Avec des mots distincts. Le chef de la majorité calme ses troupes en lançant une mission parlementaire sur la “taxation des rentes” – entreprise aussi floue que modeste -, quand le patron de Bercy se fend d’une tribune dans Les Echos sur le refus d’une augmentation des impôts. “Je crois plus au discours de clarté que vouloir faire plaisir à tout le monde”, défend un soutien. C’est lui qui annonce – encore sur TF1 – un plan massif de 10 milliards d’euros d’économies le 18 février. Dès début 2024, Bruno Le Maire défend la présentation d’un projet de loi de finances rectificative (PLFR). Il l’évoque dès le 20 mars lors d’une réunion de crise à l’Elysée. Officiellement, pour dégager plus de marge de manœuvre et rassurer les agences de notation.L’Elysée et Matignon freinent des quatre fers. Emmanuel Macron juge un tel texte inutile, Gabriel Attal mesure le risque d’une motion de censure de LR. L’argument est partagé par Gérald Darmanin et Aurore Bergé, deux ministres issus de la droite. Au sommet de l’Etat, le cas Le Maire préoccupe. On s’agace de la volonté réaffirmée du ministre de passer par un PLFR. Cet obscur véhicule législatif est prétexte à toutes les suspicions. Comme l’ont révélé Les Echos, un message adressé dimanche par le cabinet du ministre à quelques parlementaires pour pousser un PLFR fait monter la tension. Le lendemain matin, il évoque le sujet avec la ministre chargée des relations avec le Parlement Marie Lebec. Emmanuel Macron siffle lui-même la fin de la récréation quelques heures plus tard, en s’invitant à la réunion de coordination de la majorité. “La fiscalité n’est pas un sport olympique, les lois financières non plus, n’abîmons pas la confiance”, lâche le chef de l’Etat. Un ministre résume : “Bruno a toujours été loyal envers le président. Mais là, il a trop joué le rapport de force pour essayer de remporter son arbitrage.””Macron, tout le monde me dit qu’il ne m’aime pas”Macron-Le Maire. Curieux duo formé depuis sept ans. A chaque remaniement, la musique d’un limogeage du ministre monte… puis se dégonfle. Bercy a même récupéré le portefeuille de l’énergie à l’occasion du dernier remaniement. Quand Gabriel Attal débarque à Matignon, la question du maintien de Le Maire se pose toutefois. Le jeune Premier ministre décide de le garder et de le laisser au niveau de Gérald Darmanin. Que les deux rivaux se neutralisent ! “Macron, tout le monde me dit qu’il ne m’aime pas, que je l’agace, pourtant à chaque fois qu’il remanie, il me conforte et me promeut”, confiait Bruno Le Maire en mars à un interlocuteur. Le promeut… et lui adresse des piques à intervalles réguliers. Combien de perfidies lâchées en comité réduit et relayées dans la presse ? Comme ce “Il devrait en parler au ministre de l’Economie…”, racontée en mars par Le Canard enchaîné.Dans l’entourage élyséen, on raille ce “Saint-Just des finances publiques” au discours anxiogène, qui menace d’invisibiliser d’autres champs de l’action gouvernementale. La voix singulière du ministre de l’Economie agace le président. A l’inverse d’Edouard Philippe, Bruno Le Maire a décidé de rester au gouvernement. “Quand tu es dépositaire du bilan depuis sept ans, le discours de Le Maire ne tient pas, raille un fidèle d’Emmanuel Macron. Soit tu fais du “Philippe”, soit tu fais du “je suis Macron”.” Prière de se taire. Une forme de schizophrénie entoure certaines critiques. Emmanuel Macron a consacré une réunion de crise à l’Elysée sur les finances publiques et s’est présenté lundi à une réunion de la majorité dédiée au sujet. Le chef de l’Etat fait monter la thématique de la dette… avant d’abattre la foudre sur Bruno Le Maire, accusé d’en faire trop. “BLM”, fusible contraint au silence ? Un sentiment d’injustice étreint ses soutiens.La présidentielle en vueA quoi joue Bruno Le Maire ? Le camp présidentiel se perd en hypothèses pour saisir la stratégie du ministre. Gabriel Attal a sa petite idée, nourrie par son attitude offensive envers LR. Ici, on dépeint un homme en quête d’un “motif de rupture” en vue de 2027. Là, un ambitieux qui soignerait son discours en cas de limogeage. “Il est dans une impasse, juge un député. Soit il insiste sur le côté rigueur, mais n’aura pas gain de cause. Soit il rentre dans le discours mainstream, mais il n’existera plus.” Dans l’entourage du ministre, on raille ces scénarios, tristes remakes de House of Cards. “Le Maire est un homme d’Etat. Pas un homme qui fait des coups de billard à trois bandes.” “Il est objectivement inquiet de l’état des finances, ajoute le député Charles Sitzenstuhl, proche du ministre. Il tient une ligne, sans rigidité.”Cette poussée de fièvre autour des finances publiques raconte l’époque politique. Emmanuel Macron subit une fin de règne anticipée et n’a plus la même autorité sur ses troupes. Gabriel Attal vit sous la menace croissante d’une motion de censure. Bruno Le Maire jouit d’une liberté accrue, malgré une obscure stratégie. “BLM se sent très libre, confirme une ministre. Est-ce lié à Attal ou au second quinquennat ? Sûrement un mélange de tout cela. On a une durée de vie plus limitée que dans tous les autres gouvernements. Soit cela paralyse, soit on se sent plus libre de faire de la politique.” Bruno Le Maire bouge encore.Le temps passe, la présidentielle approche. Les membres du gouvernement sont les rivaux de demain. Souvent, d’aujourd’hui. Emmanuel Macron ne dirige plus un collectif de ministres, mais compose avec d’éventuels successeurs. Un participant à un dîner récent autour de Bruno Le Maire a été frappé par sa fixette sur le Premier ministre… lequel s’interroge sur les intentions du locataire de Bercy. Bruno Le Maire juge en privé juge que la clé de 2027 ne réside pas tant dans une opposition au chef de l’Etat qu’un détachement avec sa personne. Que l’expérience sera une valeur décisive pour emporter la mise face à Marine Le Pen. Alors, tout se confond. Le ministre de l’Economie et le candidat putatif pour 2027 ne font qu’un. L’action du premier est analysée par ses pairs à l’aune des ambitions du second. Gabriel Attal place pour l’heure ses pas dans ceux du président. Son statut de Premier ministre, assortie d’une série de contraintes, l’y incline davantage. Les fonctions impriment sur les hommes.



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Author : Paul Chaulet

Publish date : 2024-04-10 17:12:07

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