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“En écoutant Judith” : l’adresse exclusive de François Ozon au sujet de Judith Godrèche

“En écoutant Judith” : l’adresse exclusive de François Ozon au sujet de Judith Godrèche



Judith Godrèche a parlé, témoigné et espère en retour autre chose que des silences dans le milieu du cinéma.
Elle a raison, car face à la libération de la parole, il me semble nécessaire autant d’entendre que de répondre, chacun à son niveau. Tout silence équivaut pour les victimes à une négation de ce qu’elles ont vécu et à la continuation d’un système.
Si sa prise de parole a eu une telle force et un tel impact, c’est à mon sens pour plusieurs raisons.
D’une part, c’est une parole structurée, maturée, qu’elle a énoncée de manière calme et réfléchie.
D’autre part, sa parole se développe sur des faits avérés et documentés, que tout le monde a pu constater et que personne ne peut nier ou remettre en cause (la relation d’un réalisateur de 39 ans avec une adolescente de 14 ans).
Enfin, suite à toute une série de révélations d’abus, l’écoute est désormais possible et même souhaitée dans notre milieu, mais aussi dans toute la société.
En tant que réalisateur du film Grâce à Dieu, je ne peux m’empêcher de retrouver dans le combat de Judith celui des victimes du père Preynat qui ont créé La Parole libérée et ont mené, au-delà du cas du prêtre pédocriminel, un combat contre tout un système et une omerta dans l’église. Mêmes logiques et même volonté politique de nous confronter à nos responsabilités et à nos silences.
Je suis optimiste et je pense que cette lutte si juste va avoir des effets positifs très rapidement, car la prise de conscience est aujourd’hui réelle et profonde dans tout le cinéma.
En écoutant Judith, je me suis souvenu d’un épisode particulier et révélateur, lorsque j’étais étudiant à la Femis en 1990. Le responsable du département réalisation de l’époque, Maurice Failevic, avait invité Benoît Jacquot, suite à la sortie de La Désenchantée et des louanges de la presse. À notre grande surprise, il était venu avec son actrice et “amante” Judith Godrèche pour nous donner un cours de mise en scène et de direction d’acteur. Il l’avait filmée devant nous, étudiants, comme un trophée, dans une scène au téléphone, écrite par Pascal Bonitzer.
Cette intervention nous avait paru à la fois dérangeante, voir ainsi une jeune fille de 18 ans, passive, objectivée sous le regard d’un homme tout puissant, et en même temps normale et fascinante car elle s’inscrivait dans toute une histoire mythologique de la cinéphilie.
Nous avions “la chance” d’avoir devant nous un vrai couple pygmalion/muse dans la lignée de Chaplin/Goddard, Sternberg/Dietrich, Rossellini/Bergman, Godard/Karina, Cassavetes/Rowlands, Allen/Farrow, Truffaut et toutes ses actrices.
Je réalise aujourd’hui grâce à toutes les questions soulevées par la parole de Judith que toute ma génération de réalisateurs et de réalisatrices a été élevée et éduquée dans le culte de ces metteurs en scène, créateurs d’icônes.
L’autre influence sur notre cinéphilie et notre pratique naissante de la mise en scène a été la glorification de l’auteur/metteur en scène, démiurge et tyrannique, qui bouleverse et remet en cause les conditions de tournage pour créer de l’accidentel, “du réel”, sans tenir compte du bien-être des acteurs, actrices ou techniciens, techniciennes. Seul le résultat comptait. Les abus, humiliations, manipulations, insultes faisaient même partie du folklore qu’on nous enseignait : l’art avant tout.
Pialat et Godard en étaient les deux totems inattaquables.
Aujourd’hui la parole de Judith a cette vertu de nous obliger à nous interroger et à déconstruire dans de nouvelles perspectives notre héritage mais aussi nos pratiques de travail.
C’est à la fois salutaire et stimulant pour l’avenir.



Source link : https://www.lesinrocks.com/cinema/en-ecoutant-judith-ladresse-exclusive-de-francois-ozon-au-sujet-de-judith-godreche-612958-13-04-2024/

Author : laurentmalet

Publish date : 2024-04-13 17:00:00

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