Il se prénomme successivement Alexandre, Richard ou Ricardo. Il est tour à tour brésilien, argentin, portugais. Il se prétend ingénieur, chirurgien… Et surtout, cerise sur son gâteau, il est l’amant de plusieurs femmes que, du Brésil à la Pologne en passant par la France, il abuse par ses identités labyrinthiques et avec qui il aura, pour certaines, des enfants. Sonia Kronlund, qui nous avait enchanté·es avec Nothingwood en 2017, a ramassé les morceaux de cette imposture à l’aune de son propre kaléidoscope.
D’abord un podcast dans l’émission Les Pieds sur terre, sur France Culture, puis un livre chez Grasset cet hiver et, finalement, un documentaire. Comme si tous les moyens du récit et ses métamorphoses – parole, écriture, mise en images – étaient vitaux pour tenter d’épuiser une énigme sidérante, ignoble souvent pour ses proies et, pour partie, désirable, car personne ne peut prétendre qu’il est une seule chose à la fois.
Mentir sa vie, comme le titre d’une chanson de variétés dont Sonia Kronlund orchestrerait le tempo, autant interprète magistrale que choriste timide se disant parfois “morte de trouille”. En ouverture, sonnez hautbois, les faits. Ce type, appelons-le Machin, est un fieffé manipulateur et ses victimes détaillent les entrelacs de roueries sophistiquées qui frôlent l’étranglement. Sur la route d’une randonnée qui, génialement impure, oscille entre le polar et le journal intime, Machin prend peu à peu de la consistance, jusqu’à un empyrée : roi de la nuit aux mille visages, il n’en a plus qu’un, le sien, celui d’un assez beau brun d’une quarantaine d’années, retrouvé et filmé à Cracovie.
Machin est le metteur en scène d’une existence bigger than life où il s’est attribué le premier rôle. Pervers narcissique ? Mythomane ? Ni flic, ni juge, ni psy, Sonia Kronlund ne cherche pas à dompter un secret. À sa fenêtre de conteuse, elle en augmente la saveur romanesque. Pour preuve, son entretien avec Machin où, curieuse et joueuse, elle plonge à son tour dans la fiction, abusant l’abuseur en s’inventant un personnage de reporter pour une émission de la télévision polonaise qui enquêterait sur les cadres sup’ adeptes de jogging. Car Machin est un coureur, dans tous les sens du terme.
Et les femmes de Machin ? Sonia Kronlund est de leur bord, leur cédant la parole, la passant à des actrices quand elles n’eurent pas le désir de paraître à l’écran, et surtout faisant à toutes le don d’un humour fou comme une revanche sur le masculinisme ambiant. “Cours Coco !” est une des ultimes injonctions de cette saga du doute. Si on pose un caméléon sur un tissu écossais, il devient fou. Ou idiot.
L’Homme aux mille visages de Sonia Kronlund (Fr., Pol., 2023, 1 h 30). En salle le 17 avril.
Source link : https://www.lesinrocks.com/cinema/lhomme-aux-mille-visages-lenquete-de-sonia-kronlund-passionne-aussi-sur-grand-ecran-613699-13-04-2024/
Author : Gérard Lefort
Publish date : 2024-04-13 07:00:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.