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Mati Diop : “‘Les Bruits de Recife’, un film de fantômes extralucide” 

Mati Diop : “‘Les Bruits de Recife’, un film de fantômes extralucide” 



“Je repense souvent aux Bruits de Recife de Kleber Mendonça Filho, dont mon souvenir est vague et précis à la fois, comme un cauchemar sans image mais dont le goût et la trace demeurent intactes. Quand j’étais en préparation de mon premier long métrage Atlantique [2019], à Dakar, j’avais avec moi un disque dur d’une cinquantaine de films. C’est le seul que j’ai eu le désir de revoir une fois au travail, qu’il faisait sens de regarder ici.

Le quartier de Yoff (où j’ai tourné la scène d’effraction des filles possédées dans la villa du boss du chantier) ressemble étonnamment à l’atmosphère moite et inquiétante des rues de Recife filmées par Kleber Mendonça Filho. Nos films sont liés par une histoire commune, hantée par les fantômes de l’Atlantique. Chacun à sa manière doit beaucoup à Fog de John Carpenter, qui à partir de très peu d’effets parvient à susciter un large spectre de sensations.

J’aime la frontalité du regard du cinéaste sur la violence capitaliste de la société brésilienne héritée de l’esclavagisme. Ce film restitue parfaitement la fréquence si particulière de cette haute tension entre races, entre classes. L’enfer du déni, de la répétition d’une histoire qui se rejoue, de la persistance du spectre colonial. Les Bruits de Recife est un film de fantômes extralucide. En le revoyant hier soir, je me suis rendu compte que KMF l’avait réalisé trois ans avant l’assassinat de l’activiste Marielle Franco et l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro. Depuis la pandémie de 2020, on a comme changé de siècle. Je ne peux plus rester assise devant des films qui ne dialoguent pas réellement avec leur époque.

Le film du monde d’après

Dans le genre “retour du refoulé”, aucun film ne m’a autant marquée que Nope de Jordan Peele. Car il a justement opéré et anticipé le virage d’une nouvelle ère, celui qu’il fallait prendre. Sorti deux ans après le Covid, c’est LE film du “monde d’après”. Je le vois entre autres comme un adieu au cinéma du monde d’avant (dominé par les Blancs) et la promesse de sa réinvention par les maldites “minorités”. Œuvre d’art méga-divertissante, blockbuster ultra-sensible, Nope est le grand film politique de ce début de siècle qui marquera l’histoire du cinéma tel un nouveau paradigme esthétique et politique. On n’avait jamais vu ça.” 



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Author : Jean-Marc Lalanne

Publish date : 2024-05-07 08:33:42

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