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Dormir seul ou à deux ? Les réponses de la science sur le sommeil dans le couple

Une jeune femme se bouche les oreilles avec un coussin pendant que son mari ronfle dans le lit.




Une cuisine, une salle de bains et un couloir nous séparent, ma compagne et moi. Chaque nuit, je m’endors seul dans le salon, sur un canapé-lit avec vue sur la télévision. Emma – appelons-la ainsi car elle n’a pas demandé à atterrir dans les pages de L’Express – se saucissonne dans une couette trop grande, à l’autre bout de l’appartement. La pièce, un rectangle typique des bâtiments fonctionnels des années soixante-dix, aurait dû être notre chambre à nous. C’est devenu sa chambre à elle.Mes vêtements y traînent, tassés dans la penderie qui coure le long du mur. Il n’y a pas d’autres endroits où les ranger. Quand la porte est fermée, je toque pour les récupérer. Pour le reste, tout est à elle, là-bas : cette affiche qui dégouline de jaune à côté du bureau, ces pelotes de laine, vestige d’un projet tricot qui n’avance pas, ces petites figurines hawaïennes… Le matin, on se dit bonjour dans la cuisine ou devant les toilettes.”Tu as des invités ?”, me demande un ami, un jour, en voyant mes draps repliés dans un coin. Je lui explique ; il se garde de répondre. Comme si le malaise avait enflé, quelque part entre la couette et les oreillers. “Ça va, entre vous ?”, ose un autre, téméraire. A chaque fois que j’évoque notre choix, les yeux se gonflent d’inquiétude, les sourires sèchent. Sauf ma mère, qui ne voit que le bon dans son prochain, surtout quand il s’agit de son enfant. “Dormir à deux, ce n’est pas pour tout le monde”, a-t-elle simplement dit.Une pratique pas si rareMa mère a saisi en une seconde ce que j’ai mis des mois à comprendre. Avant cette discussion, je ne pouvais pas m’empêcher de me demander : n’est-ce pas étrange, à 25 ans, de dormir aussi loin l’un de l’autre ? Nous n’avions quasiment jamais passé une nuit ensemble avec Emma. Nous nous sommes rapprochés alors que nous étions colocataires. Nous pouvions facilement nous voir, tout en restant chacun chez nous. Nous en avons brièvement parlé. C’est plus simple, plus confortable, alors on continue comme ça et puis c’est tout.J’ai découvert plus tard que nous n’étions pas les seuls. De plus en plus d’Américains font chambre à part, d’après un sondage de 2023 pour le quotidien New York Times. Ils sont désormais un couple sur cinq, Cameron Diaz comprise. La célèbre actrice s’est fait l’égérie de la pratique. Comme elle, la moitié des dormeurs solitaires déclarent que cela n’a pas d’impact sur leur couple, ou qu’au contraire, leur relation s’est améliorée. En France, Emma et moi avons rejoint les 16 % des Français qui font ainsi ou aimeraient en faire autant, selon un sondage de l’Ifop paru en 2021. Me voilà soulagé.Avant de rencontrer Emma, je n’avais jamais réfléchi à ce rituel qu’est le sommeil quand il est à deux. Il y avait cette évidence : les amoureux dorment ensemble ou se séparent. Ou pire, ils n’osent pas se séparer, et mettent la nuit entre eux. Mes grands-parents font chambre à part dès qu’ils peuvent : ils ne se prennent plus dans les bras depuis l’invention d’Internet. Ils se parlent à travers la charpente, lui à l’étage, elle en bas. Je voyais donc le canapé ou la chambre d’amis comme des écumoires, où s’échoue l’amertume du couple qui n’en est plus vraiment un.L’idée reçue du divorce par le sommeilL’idée est tellement ancrée qu’elle a un nom : “sleep divorce”. Littéralement, le divorce par le sommeil. Sur la plateforme de partage de vidéo TikTok, l’expression totalise 11,5 millions de vues. Pourtant, faire lits séparés n’a pas toujours été considéré comme l’antichambre de la rupture. Que peut l’amour, face aux modes, aux conventions ? Il fut un temps où on végétait à 8, faute de chauffage. Un autre où les couples de certaines classes sociales ne devaient surtout pas se mélanger, question de mœurs. A l’instar du couple royal dans The Crown, la série sur la monarchie britannique. Et puis, il y a tous ces pays, comme en Allemagne ou dans le nord de l’Europe, où la norme c’est deux lits simples, côte à côte ou un peu plus éloignés.La qualité du sommeil figure en tête des raisons évoquées pour faire chambre à part. Celle-ci serait meilleure, débarrassée de l’autre, ses ronflements, ses secousses, ses habitudes, parfois si étrangères. A deux, je ne dors pas. Plus jeune, j’avais des problèmes pour dormir. Le moindre bruit me tenait éveillé des heures, même avec des bouchons vissés dans les oreilles. Je gigote. Emma est somnambule. Elle tombe du lit, se relève, se met à parler en anglais, la langue qu’elle utilise au travail. Une fois, elle a crié : “Oh my god, oh my god, oh my god”.Clément, autre adepte des couches éloignées, l’a pris pour lui, au début : “Quand ma copine a quitté le lit, ça m’a blessé”, confie ce jeune projectionniste de 36 ans, enthousiaste à l’idée de se raconter, après avoir repéré mon appel à témoin. Sa copine lui a expliqué qu’elle ne supportait pas le bruit mais qu’elle l’aimait. Et le voilà changé en dormeur libre des plus féroces : “Plus jamais je ne redors à deux. Le couple c’est déjà beaucoup de compromis, autant ne pas en faire sur le sommeil”, explique-t-il, bien que lui n’ait jamais eu de problèmes : “C’est avant tout un confort”.Deux dormeurs, deux fois plus de réveils ?Dort-on vraiment mieux seul ? Les scientifiques pensent comme ma mère. “Cela dépend avec qui et comment mais à long terme, être à deux, ce n’est pas forcément le mieux”, prévient le professeur Pierre Philip, chef du service au CHU de Bordeaux, et vulgarisateur sur Instagram. Lui aussi joue du sommier en solo. Il m’explique que la qualité du sommeil est tout aussi importante que sa durée et sa régularité. “Or, le premier risque, ce sont les éveils nocturnes. À deux, on potentialise la menace”, dit-il.Les personnes qui dorment avec un ronfleur tonitruant sont trois fois plus susceptibles d’avoir des difficultés à s’endormir et à rester endormies, selon une étude menée en 2017, publiée dans la revue Journal of Clinical Sleep Medicine. Avec, à la clef, deux fois plus de risques d’être fatigué ou somnolent. Celles qui se couchent avec une personne qui travaille à des horaires décalés ont plus souvent des symptômes de dépression et des troubles cognitifs remarque une autre étude, parue dans SSM – Population Health.Quand il m’arrive de dormir avec Emma, j’ai l’impression qu’elle me “transmet” ses réveils nocturnes et qu’ils s’ajoutent aux miens. C’est possible : cela arrive à ceux qui dorment avec une personne insomniaque, comme le montre une étude publiée dans Sleep, en 2020, menée sur une cinquantaine de couples. La contamination est plus forte quand l’un des membres de l’union force son rythme naturel pour suivre son partenaire dans ses habitudes. Une autre, publiée dans Sleep Health la même année, observe elle aussi cet effet.Ces phénomènes s’aggravent avec le temps. Plus l’on vieillit, plus le sommeil s’allège. Mais pas à la même vitesse pour les hommes ou les femmes, a montré une étude publiée en 2021 dans Journal of Clinical Sleep Medicine. Là n’est pas la seule différence sexuée. Monsieur est souvent plus tolérant vis-à-vis des perturbations, mais aussi plus sujet au ronflement, surtout quand il est jeune. Madame est, elle, plus souvent insomniaque. Autant de risques de devenir “incompatibles”. A ce stade de l’enquête, j’ai l’impression de m’être sauvé d’un péril, pour ma santé et pour mon couple.Des différences hommes – femmesToutefois, ces méfaits sont à nuancer. Car il y a aussi des avantages à la nuit à deux. La présence de l’autre peut aider à se détendre, à s’endormir. “Il n’y a rien de plus beau que ce moment où tout se mélange peau contre peau”, me confie un ami, comme pour me convaincre. De nombreuses études ont montré que le contact avec la peau de son partenaire libère de l’ocytocine, une hormone qui participe à l’apaisement, au sentiment de sécurité. Un élément primordial quand il s’agit de dormir.En parcourant la littérature scientifique, des chercheurs se sont ainsi rendu compte que la qualité “subjective” du sommeil, celle rapportée par les volontaires, était meilleure chez les “co-dormeurs”. Ces résultats sont décrits dans un article scientifique de Sleep Health, datant de 2021. Si l’on se sent bien l’un contre l’autre, on a plus de chance de penser que l’on dort bien. Cela peut se traduire par une amélioration réelle de certains mécanismes impliqués dans le repos, selon une étude plus poussée, publiée dans Frontiers Psychiatry en 2020.Cette fois-ci, les chercheurs ont demandé à une vingtaine de jeunes couples de s’allonger sous leurs instruments de mesure. Résultat, le sommeil partagé s’est avéré associé à une augmentation d’environ 10 % du sommeil paradoxal, qui semble aussi moins fragmenté. Ces phases, deux heures environ chez l’adulte, surviennent plus fréquemment à la fin de la nuit. Elles sont cruciales pour la formation de la mémoire. Ce qui laisse penser que certaines personnes en tirent plus de tranquillité que de nuisances. Surtout si elles sont “compatibles” à ce niveau.Ces études sont partielles, parcellaires. Mais, l’une après l’autre, elles semblent confirmer une chose : en matière de sommeil comme de couple, il vaut mieux ne pas se forcer. “Il faut garder en tête que dormir tout seul peut être bénéfique, surtout si on sent que son sommeil se fragilise. L’important, c’est d’intervenir avant le stade pathologique”, souligne le Pr Pierre Philip. Beaucoup de gens me demandent si ça ne me manque pas, de me blottir contre ma copine. En réalité, je n’ai jamais arrêté : en regardant une série, pendant une sieste ou avant d’aller dormir de mon côté.



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Author : Antoine Beau

Publish date : 2024-05-09 14:55:06

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Tags :L’Express

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