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On y était : sur le tournage de “Nouvelle Vague”, le nouveau film de Richard Linklater

On y était : sur le tournage de “Nouvelle Vague”, le nouveau film de Richard Linklater



Le mois dernier, une faille temporelle semble s’être ouverte dans Paris. Près des Champs-Élysées, une odeur anachronique de pots d’échappement entoure les places de parking occupées par d’anciens modèles de voiture. Un kiosque à journaux présente les noms d’Eisenhower et Charles de Gaulle en une de la presse quotidienne. Épinglée au-dessus des autres titres, la couverture jaune du numéro de juin 1959 des Cahiers du cinéma est dédiée aux Quatre Cents Coups de François Truffaut.
Le long de l’avenue, une jeune femme aux cheveux blonds et courts vend à la criée des exemplaires du New York Herald Tribune. On reconnaît ici l’un des plans mythiques d’À bout de souffle de Jean-Luc Godard, où Jean Seberg est filmée en toute discrétion par le chef opérateur Raoul Coutard, alors camouflé avec son Caméflex dans une poussette triporteur.
Près de soixante-cinq ans plus tard, la situation est reconstituée pour Nouvelle Vague, le nouveau film de Richard Linklater, tourné en noir et blanc, qui retrace la création du premier long métrage de Godard durant l’été 1959. Pour ce faire, le cinéaste américain remontera même quelques mois auparavant, lors du Festival de Cannes où le projet a été lancé. Alors que l’accueil triomphal des Quatre Cents Coups ouvre la voie à de jeunes cinéastes débutant·es, Jean-Luc Godard, soutenu par François Truffaut et Claude Chabrol, réussit à convaincre le producteur Georges de Beauregard de financer son film.
Plus que le portrait d’un homme, c’est celui de toute une génération que Nouvelle Vague promet de brosser. Lorsque nous le rencontrons, Richard Linklater nous esquisse ainsi son projet : “C’est l’histoire d’une révolution personnelle du cinéma menée par un homme, et de tous les gens qui l’entourent.” Jacques Rivette, Éric Rohmer, Jacques Demy, Agnès Varda, Alain Resnais ou Jean Cocteau, tous·tes seront comme ressuscité·es par le médium qu’ils et elle ont contribué à réinventer.
Quelques heures après la séquence des Champs-Élysées, le tournage se poursuit rue de Saïgon, où se retrouve l’actrice américaine Zoey Deutch (déjà filmée par Linklater dans Everybody Wants Some!!, 2015) dans le rôle de Jean Seberg, aux côtés d’un casting français composé d’acteur·rices encore inconnu·es du grand public.
Avec ses fameuses lunettes noires et sa calvitie naissante, on reconnaît facilement Godard sous les traits de Guillaume Marbeck. Mais plus encore que par l’apparence physique, c’est grâce à l’intonation de la voix que la ressemblance devient frappante. Pour une première petite scène, Godard, accompagné de son assistant Pierre Rissient et de Raoul Coutard, présente à Georges de Beauregard le triporteur qui lui permettra de dissimuler une caméra afin de tourner librement dans Paris sans attirer l’attention.
Le producteur, d’abord perplexe, y voit rapidement une astuce économique pour ne plus payer de figurant·es. Le cinéaste, quant à lui, y perçoit un moyen d’affirmer un point de vue créatif fort sur son film, qui s’apparente moins à une fiction traditionnelle qu’à “un documentaire sur Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg en train de jouer dans un film”, comme l’explique son personnage dans une autre scène tournée cet après-midi.
C’est bien cette nouvelle appréhension du tournage, où l’inventivité esthétique naît à partir d’un ensemble de solutions pratiques apportées à des contraintes économiques et techniques, qui intéresse Linklater en premier lieu : “Tous les cinéastes ont envie de faire un film sur la fabrication d’un film. C’est difficile de s’attaquer à À bout de souffle, mais l’angle de son tournage me semble intéressant car c’est grâce à sa méthode qu’il a changé l’histoire du cinéma. La manière dont le film s’est fait est si radicale qu’il n’a pas changé uniquement l’industrie locale, mais il a redéfini ce que pouvait être un film.”
À l’issue de plusieurs prises, Linklater demande à ses comédien·nes de rejouer la scène plus rapidement, avec plus d’enthousiasme, comme pour coller au plus près au rythme des films de la Nouvelle Vague. Leur fraîcheur inaltérable vient de ce sentiment d’urgence qui conduisit cette génération à quitter les studios pour s’ouvrir à la temporalité du monde moderne et accueillir la spontanéité de la jeunesse. “Leur credo était simple : ‘Achetez une caméra et faites votre film.’ À bout de souffle ne vieillira jamais, il sera éternellement nouveau. Je l’ai découvert à 20 ans et j’en ai 60 aujourd’hui, mais il me fait toujours le même effet.”
Linklater revendique volontiers l’influence qu’a exercée la Nouvelle Vague sur son propre cinéma : “J’ai fait Slacker [1991] en suivant les directions mises en place dans À bout de souffle : pas de scénario commercial, pas de permission pour filmer dans les rues, un tournage décousu. J’étais la seule personne à savoir à quoi l’ensemble allait ressembler.” Selon lui, cette proximité cinéphile lui suffit pour aborder une époque qu’il n’a pas connue : “Il y a bien sûr un travail de recherche historique, mais je pense que le principal est d’être amoureux d’une époque pour pouvoir s’imaginer comment la vie devait y être. Je me sens très à l’aise dans le passé.”
Enfin, lorsque nous lui demandons quel·le cinéaste de la Nouvelle Vague l’a le plus marqué, il hésite, avant de répondre : “Ça dépend de mon humeur. On pourrait penser à Éric Rohmer, mais celui que je préfère est peut-être Jacques Rozier. Ils sont tous tellement différents. Mais ils partageaient au fond la même quête : faire des films personnels. Ils appartiennent au passé, bien sûr, mais ils continueront de vivre tant qu’ils inspireront encore de nouveaux cinéastes.”



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Author : Robin Vaz

Publish date : 2024-05-11 06:00:00

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