Entre un post promotionnel pour son nouvel album et un selfie avec un cheval, Dua Lipa intègre ses coups de cœur littéraires à la narration Instagram de son quotidien de pop star. Dernièrement, elle partageait avec ses 88 millions d’abonné·es la découverte du best-seller Pleurer au supermarché, récit autobiographique de l’Américano-Coréenne Michelle Zauner. Plus qu’une simple publication aléatoire, l’ouvrage fait partie intégrante du programme Service 95, la newsletter mêlant littérature, gastronomie et mode lancée par Dua Lipa en février 2022. Elle est loin d’être la seule it-girl bibliophile : la mannequin Kaia Gerber, égérie Celine, dévoile dans son club Library Science ses titres favoris de Françoise Sagan ou Joan Didion. Et orchestre un InstaLive avec la traductrice américaine de Marguerite Duras : pour la fille de Cindy Crawford, nul doute que “lire, c’est sexy”.
Vive le papier !
Cette réinvention plurielle des codes de la critique littéraire, mêlant sérieux, direction artistique aiguisée, et dose de pop, est devenue une sémiotique commune pour les utilisateur·rices anonymes de TikTok. En 13 secondes, des adolescent·es digital natives partagent leurs coups de cœur papier, qu’ils et elles estampillent du hashtag Booktok comptabilisant plus de 200 000 milliards de vues, devenant la tendance la plus virale de la plateforme, fin 2023. Dans le monde de la mode, la littérature est omniprésente : défilés entre les livres chez Alaïa ou Celine, écrivains de la Beat Generation comme inspiration chez Kim Jones pour Dior ou Bret Easton Ellis au cœur d’une collection pour Louis Gabriel Nouchi. Mais les liens dépassent la cadre de la confection de collections. Les maisons se muent désormais en néoclub littéraire, à l’instar de la maison Chanel qui propose un programme autour de l’émancipation féminine.
Fidèle à l’héritage de Gabrielle Chanel, proche d’écrivaines comme Colette, Virginie Viard lançait en janvier 2021 les Rendez-vous littéraires rue Cambon, animés par Charlotte Casiraghi, fille de princesse et licenciée en philosophie. La dernière édition en date, ayant eu lieu dans la libraire du 7L, était consacrée à l’œuvre de Rachel Cusk, qui prend pour thèmes la maternité et la structure romanesque comme exploration de l’intime. “Ces propositions témoignent de l’élévation culturelle de la mode, qui au passage, intègre des questionnements sociaux. C’est également un procédé de différenciation à l’intérieur du champ, valable pour les marques ayant une profondeur historique”, note Jamil Dakhlia, professeur en sociologie des médias.
Pour autant, cette quête de légitimité ne se départit pas d’une volonté de rendre la lecture accessible. On le devine dans le catalogue éclectique mêlant beaux livres, fanzines rares et magazines contemporains curaté par Anthony Vaccarello pour Saint Laurent à travers le projet Saint Laurent Babylone. Nouvelle destination culturelle, le lieu logé rive gauche se dote de larges fauteuils moelleux où s’installer pour consulter des ouvrages tout en écoutant des vinyles.
“Tout Saint-Germain-des-Prés, où les librairies et l’esprit des librairies avaient disparu, remplacés par des boutiques de mode, revient aujourd’hui à l’idée du livre. C’est quand même cocasse. Pour autant, je trouve que c’est bien fait”, confie Sophie Fontanel, elle-même écrivaine et journaliste mode. Cette dernière se souvient de la boutique de Sonia Rykiel et de sa fille Nathalie où les piles de romans atteignaient le plafond, mais aussi du concept store Colette (1997-2017) cofondé par Sarah Andelman et sa mère où les livres se mêlaient à des sélections d’eaux minérales et de pièces de mode.
En mars 2023, Andelman envahit les murs du Bon Marché avec l’exposition Mise en page, qui célèbre l’intarissable source d’inspiration que sont les livres. “Elle ose mélanger quelque chose de gadget à la profondeur de la littérature. Elle arrive à respecter les deux à la fois. Et je crois réellement qu’elle est en train d’ouvrir une voie. Une littérature qui ne ferait absolument pas peur – je ne parle pas du contenu des livres ; et qui se fondrait dans la vie courante”, analyse Sophie Fontanel. Loin de le célébrer uniquement comme un objet esthétique, la mode comme les cultures numériques envisagent le livre comme un porteur d’ailleurs, et de savoir en résistance.
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Author : Manon Renault
Publish date : 2024-05-12 06:00:00
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