Le président américain n’a pas fait dans la demi-mesure en décidant de porter les droits de douane sur les véhicules électriques chinois de 25 % à 100 %. Joe Biden augmente aussi les taxes sur les semi-conducteurs, l’acier, l’aluminium, les cellules photovoltaïques importés de Chine. 18 milliards de dollars de produits sont concernés. La portée économique de ce train de mesures apparaît limitée. Le candidat à un second mandat vise surtout à convaincre l’électorat hésitant de certains Etats clés, où l’industrie automobile domine.Ce pari politique suffira-t-il pour battre Donald Trump, toujours prêt à la surenchère en matière de protectionnisme ? Spécialiste des Etats-Unis, Raphaël Gallardo, le chef économiste du fonds d’investissement français Carmignac, livre son analyse à L’Express.L’Express : Comment jugez-vous les annonces du président Biden ? Est-ce un signal fort envoyé à la Chine, ou bien aux électeurs américains ?Raphaël Gallardo : Les deux ! A vrai dire, depuis un mois, nous constatons que les sondages nesont vraiment pas bons pour Joe Biden dans les Etats clés. En particulier, Trump est en train de creuser l’écart dans la Rust Belt [NDLR : la région industrielle du nord-est des Etats-Unis]. Or à mon sens, pour que Biden l’emporte, il lui faut gagner ces trois Etats : le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvanie. Mais il a imposé à la fin de l’année dernière l’interdiction des nouveaux terminaux de gaz naturel liquéfié, une décision qui lui a fait du mal en Pennsylvanie, deuxième État gazier du pays. Par ailleurs, le Michigan est l’Etat où la proportion des électeurs de confession musulmane est la plus élevée, une population susceptible de reprocher à Biden son manque de fermeté face à Netanyahou au sujet de la guerre à Gaza.Dans un second scénario, une victoire est possible sans le Michigan, mais avec le Nevada et l’Arizona, deux Etats où la loi sur l’avortement est devenue si restrictive qu’elle pourrait conduire les jeunes à se mobiliser. Mais je n’y crois pas trop, tant Trump a pris de l’avance. Aujourd’hui, Biden est en train de perdre l’électorat jeune d’une part et afro-américain et latino d’autre part. Donc il va falloir aller se battre, ce qui explique cette course à la surenchère protectionniste avec Trump, à laquelle la population de la Rust Belt est sensible.Et vis-à-vis de la Chine ?La Chine est dans un déni total, malgré la mise en garde récente de Janet Yellen au sujet des surcapacités et des subventions dans l’industrie chinoise. Elle ne fait aucune concession. De la même façon, lors de son voyage européen, Xi Jinping n’a rien lâché face à Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen sur les sujets commerciaux – ni sur la Russie d’ailleurs, malgré l’escalade nucléaire. La Chine continue à nier les problèmes de surcapacités, ce qui ne peut qu’inciter les Etats-Unis à hausser le ton. Mais elle va dans le mur avec une telle politique : les Etats occidentaux lui ferment la porte, et les pays du Sud, aux marchés étroits et peu solvables, feront de même à terme. La nouveauté de l’approche de Biden est qu’elle intègre la nécessité d’une protection contre l’évasion tarifaire utilisant des pays de transit comme le Mexique, afin de pallier les inefficacités des mesures protectionnistes prises sous la présidence de Trump.De son côté, Trump a réagi tout de suite aux annonces de Biden en disant qu’il n’hésiterait pas à mettre des taxes de 200 % sur les véhicules électriques une fois élu. Dans le débat politique américain, il n’y a plus de limite ! On peut parler de 200 % de tarifs douaniers, ça ne choque plus personne. Il faut se préparer à une victoire de Trump à mon avis, mais dans une version sans un Gary Cohn pour le restreindre [NDLR : l’ancien patron de Goldman Sachs était son conseiller économique jusqu’en mars 2018]. Cette politique tarifaire s’accélérera s’il est réélu.Les mesures déjà annoncées par Biden auront-elles un impact sur l’économie américaine ?Non, c’est symbolique. Cependant, dire que les Etats-Unis ne vont plus se laisser duper par les usines mexicaines dans lesquelles les Chinois investissent est un vrai saut quantique. Ce changement est majeur parce qu’il remet complètement en cause l’accord de libre-échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Pour le Mexique, c’est une mauvaise nouvelle. Mais in fine, cela touche assez peu les Etats-Unis, qui n’étaient de toute façon pas envahis de voitures électriques chinoises – Trump avait déjà fait le travail en imposant des droits de douane de 27,5 %. Surtout, cela démontre qu’il y aura une surenchère protectionniste jusqu’à l’élection. En fait, Biden est obligé de faire du Trump, parce qu’il panique.Il faut donc s’attendre à d’autres annonces, sur de nouveaux produits ?Pour l’instant, ces mesures restent très ciblées. Cela relève plus de la politique industrielle que d’une guerre commerciale. Mais si Trump continue de le pousser dans cette surenchère, il peut les élargir au-delà des secteurs stratégiques, pour garantir l’autosuffisance dans tel ou tel secteur. La pharmacie par exemple, la fabrication des vaccins et des antibiotiques étant très dépendante de la Chine.Dans le raffinage des métaux aussi, ses parts de marché sont considérables. Biden pourrait aussi élargir le champ des droits de douane aux métaux critiques au-delà de la chaîne de valeur des semi-conducteurs. Ça peut aller très loin.Est-ce que l’Europe devrait s’inspirer de la stratégie américaine ?Les annonces de Biden viennent étendre l’éventail des possibles. Si les Etats-Unis appliquent des taxes de 100 %, pourquoi pas nous ? Ma collègue Apolline Menut, économiste spécialiste de l’Europe chez Carmignac, a montré que même avec les mesures proposées sur les véhicules électriques chinois, ces voitures restent plus compétitives sur le marché européen. Donc on peut aller beaucoup plus loin. Les Etats-Unis créent un précédent au niveau international.
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Author : Muriel Breiman
Publish date : 2024-05-16 16:00:00
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