Toute la nuit, de dimanche à lundi, les preuves du divorce entre le peuple iranien et la République islamique ont illuminé le ciel des grandes villes du pays. De Téhéran à Mahabad, dans le Kurdistan iranien, des feux d’artifice et des cris de joie ont répondu à l’annonce du crash de l’hélicoptère du président Ebrahim Raïssi, disparu dans les montagnes hostiles près de l’Azerbaïdjan. D’après plusieurs témoins, ceux qui n’osaient pas faire la fête dans les rues iraniennes, à cause de l’omniprésence des forces militaires et paramilitaires, klaxonnaient de toutes leurs forces pour célébrer la nouvelle.Dès le lendemain matin, cinq jours de deuil national étaient décrétés par les autorités, sans que l’atmosphère ne semble propice au recueillement. De la joie dominait chez les opposants, quand la crainte de l’instabilité saisissait les partisans du régime. La République islamique a d’ailleurs souligné, dès l’annonce du crash, à quel point le pays était stable. Ce qui suggère évidemment l’inverse. “La perte de Raïssi représente un coup dur pour [l’ayatollah] Khamenei et constitue un facteur de déstabilisation potentiel pour le régime, juge le politologue iranien Hamid Enayat. La mort de Raïssi intervient à un moment où le régime iranien est déjà aux prises avec de nombreuses crises internes et externes, exacerbant encore davantage ses vulnérabilités.”D’après la Constitution de la République islamique, de nouvelles élections doivent se tenir dans les cinquante prochains jours. Le calendrier électoral a déjà été fixée : le vote aura lieu le 28 juin. Le résultat n’inquiète pas les autorités, tant ces scrutins sont encadrés et joués d’avance. En 2021, seuls trois candidats avaient été autorisés à se présenter, laissant la voie dégagée pour le favori du guide suprême, le très loyal et brutal Ebrahim Raïssi.” Ce président était l’un des piliers d’un système qui emprisonne, torture et tue ceux qui osent le critiquer, souligne Hadi Ghaemi, directeur du Center for Human Rights in Iran. Sa mort lui permet d’échapper à tous ses crimes ainsi qu’aux atrocités commises par l’Etat pendant qu’il en était le dirigeant.” En 2023, 53 opposants iraniens auraient été exécutés, d’après Amnesty International.Mais en Iran, même sous la dictature islamiste, les moments de vote correspondent toujours à des moments de revendications et de débat. Alors, quand l’inflation atteint 40 %, que des manifestants sont exécutés presque tous les jours et que le mouvement “Femme, vie, liberté” reste bien vivant malgré une répression terrible, le régime redoute forcément ces jours de flottement politique. “Clairement, ces dernières années, l’Etat iranien peine à garder le contrôle sur les événements, poursuit Hadi Ghaemi. La communauté internationale doit être vigilante, nous craignons une escalade dans la répression contre la société civile en cette période d’instabilité.”Risques de guerre d’influenceUn autre facteur d’inquiétude pour le régime concerne la participation aux élections. Depuis la révolution islamique de 1979, les autorités iraniennes tiennent à garder un vernis de légitimité et s’appuient sur les élections pour démontrer leur “succès” au monde entier. Mais ces dernières années, face à des scrutins de moins en moins libres, l’abstention bat des records. Aux législatives de mars dernier, la participation n’a pas dépassé 8 % dans la région de Téhéran… “Il paraît évident que la République islamique traverse une crise profonde, pointe Saeid Golkar, spécialiste de l’Iran à l’université de Tennessee. Vous ne connaissez jamais à l’avance le jour de la chute d’un régime politique, mais c’est toujours à la suite d’un événement imprévisible. Or, quand vous observez la société iranienne et la République islamique, vous pouvez seulement voir un fossé béant qui ne cesse de se creuser.”Ces prochains jours risquent aussi d’ouvrir une guerre d’influence au sein du régime iranien. Les différentes factions de la République islamique – religieuse, militaire et économique – vont tenter d’imposer leur candidat au guide suprême, Ali Khamenei. Ce dernier avait choisi Raïssi comme candidat idéal, lui qui avait été son élève et suivait aveuglément le guide suprême. “Raïssi était suffisamment violent et dépourvu de conscience pour mettre en œuvre toutes les décisions de Khamenei, même les plus abjectes”, souffle Saeid Golkar. Ce dévouement absolu envers la République islamique avait fait de Raïssi le favori pour prendre la suite de l’ayatollah Khamenei, 85 ans, à la santé fragile. Sur ce dossier aussi, la guerre de succession pourrait faire des dégâts au sein du régime iranien.
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Author : Corentin Pennarguear
Publish date : 2024-05-20 18:04:42
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