Thriller policier, tragédie romantique, comédie musicale : quelques jours après Emilia Perez, le cinéma français veut décidément tout manger, se transfigurer dans des projets sommes, montrer un nouveau visage opératique. Sauf que cette fois-ci, c’est Gilles Lellouche qui conduit. Parangon d’une virilité potache (Le Grand Bain) ou burnée (BAC Nord de Cédric Jimenez), déjà invité hors compète, l’acteur-réalisateur passe à un romantisme échevelé pour une improbable promotion dans le premier cercle. L’Amour ouf, donc, c’est celui de Clotaire (Malik Frikah/François Civil) et Jackie (Mallory Wanecque/Adèle Exarchopoulos) à travers les âges, lui mauvais garçon torturé, elle plus rangée quoiqu’attirée par l’incandescence. Des mauvaises fréquentations mènent à un drame, puis à une longue ellipse carcérale ; à la sortie, les anciens amants ne peuvent échapper à leurs retrouvailles (notez la parenté avec l’autre blockbuster français de fin de festival, Le Comte de Monte-Cristo).
Le déluge du casting donne au film un statut particulier, sorte de symphonie consubstantielle du vedettariat hexagonal 2024, qui semble nous convoquer pour nous dire : regardez, nous donnons tout, nous jouons, nous pleurons, nous crions, nous nous battons, nous courons, nous sommes vos stars. La dépense d’énergie du film est délirante, esclave d’une quête d’intensité inapaisable résultant en un usage copieux de tubes eighties (A Forest, Nothing Compares 2 U version Prince – le jukebox à pleins watts était déjà la béquille du Grand Bain), une direction d’acteur·rices en crise de nerfs permanente, et une mise en scène très stylisée empruntant à la comédie musicale (Lellouche revendique West Side Story, on a pouffé sur le moment, on comprend mieux).
Surenchère
Pachydermique, braillard, L’Amour ouf s’abandonne tout entier à un principe de surenchère qui est à la fois sa débâcle et dans une certaine mesure sa réussite. Le film ne s’autorise presque pas un plan sobre – même pour un simple champ-contrechamp, les cuts sont remplacés par des panoramiques brutaux –, peut-être parce qu’il a conscience que chaque fois que le soufflé retombe, l’écriture apparaît soudain dans sa vérité nue, c’est-à-dire dans son mélange de guimauve adolescente et de punchlines balourdes, mi-cucul mi-badass.
Quelque chose, pourtant, émeut dans la démarche : lyrisme nigaud, certes, caricature de romantisme écorché vif, d’accord, mais Lellouche y met une telle ferveur, un tel appétit qu’on est tenté de lui pardonner sa naïveté, et de se laisser parfois emporter dans la course de son trente-six tonnes.
L’Amour ouf de Gilles Lellouche avec François Civil, Adèle Exarchopoulos (France). En Compétition officielle.
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Author : Théo Ribeton
Publish date : 2024-05-23 14:45:21
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