C’est dans un contexte particulièrement chargé que l’Iranien Mohammad Rasoulof présente aujourd’hui son dernier film en compétition officielle, Les Graines du figuier sauvage. Ayant fui clandestinement son pays après avoir été condamné à une peine de cinq ans de prison pour “collusion contre la sécurité nationale”, le voilà en cavale sur la Croisette. Parallèlement, on apprenait la mort dans un accident d’hélicoptère du président iranien Ebrahim Raïssi le 19 mai dernier.
La grande charge politique du film de Rasoulof, tourné à l’abri du regard des autorités iraniennes puis post-produit à l’étranger, est d’emblée exhibée. Le film nous plonge dans un Téhéran au bord de l’implosion. La révolte de toute une jeunesse s’intensifie, brutalement réprimée par le régime théocratique. Celui-ci impose sa légitimité en ayant recours à une violence de plus en plus accrue.
Lent dérèglement domestique
À la périphérie de cet embrasement, le film suit un père de famille tout juste nommé juge d’instruction. Cette récente nomination et les responsabilités politiques et morales qu’elle implique vont plonger l’homme, sa femme et ses deux filles dans une spirale de paranoïa et de violence.
C’est un lent dérèglement domestique que Rasoulof scrute. Comment les effets de la révolte contaminent les membres de cette famille. Comment le dehors surgit et bouleverse l’apparente quiétude du dedans. C’est d’abord les nombreuses images des manifestations publiées sur les réseaux sociaux qui s’infiltrent dans la maison et vont réveiller la révolte.
Stratégies narratives
Pour raconter cette trajectoire le film a recours à deux stratégies narratives opposées et à l’articulation maladroite. Un premier bloc d’environ deux heures, essentiellement en huis clos et tourné vers la parole. Dilatant le temps et visant une certaine rétention émotionnelle, cela donne un enchaînement de scènes extrêmement verbeuses, où tout semble se répéter deux fois. Un excès de didactisme qui donne aux spectateur·rices le sentiment d’avoir toujours un temps d’avance sur les personnages.
Cette lente combustion accouche d’une dernière partie beaucoup plus nerveuse, voire totalement décomplexée où Rasoulof assume le thriller de home invasion. Pas maladroit formellement (on en retient une scène très réussie de course-poursuite en voiture), le film ne prend dès lors plus aucune pincette, se détourne de la complexité de ces personnages et accélère subitement leur trajectoire comme excédé par l’extrême patience qu’il leur avait réservée plus tôt pendant deux heures.
Étourdissement étrange qui donne le sentiment d’un film à la fois trop long et trop court où l’angle métaphorique de la révolte intra-familiale comme miroir de celle d’un peuple – tout aussi courageux soit-il – ne parvient pas à transcender son sujet. Les images réelles de l’insurrection populaire saisies par le film, elles, resteront dans nos têtes.
Les Graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof, avec Misagh Zare et Soheila Golestani
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Author : Ludovic Béot
Publish date : 2024-05-24 16:45:51
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