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Arthur Nauzyciel s’empare des “Paravents”,  la pièce de Genet au parfum de scandale

Arthur Nauzyciel s’empare des “Paravents”,  la pièce de Genet au parfum de scandale



Près de soixante ans après sa création sous la direction de Roger Blin, mettre en scène Les Paravents conduit forcément à réveiller les fantômes de l’Histoire. Faut-il rappeler que ce qu’on nomme “La Bataille des Paravents” a été souvent considéré comme une préfiguration de Mai 68 ? Un face-à-face mobilisant en 1966 des défenseur·ses de la liberté d’expression s’opposant aux tenants de la censure, aux représentants de l’armée et aux nostalgiques de l’Algérie française.
Étrangement, ce n’est pas la représentation de ce qu’on nommait à l’époque les “opérations de pacification en Algérie” qui met le feu aux poudres, mais la fameuse scène des pets, censée offrir à un officier agonisant l’illusion de s’éteindre sur sa terre natale pour qu’il “respire en mourant un peu d’air de chez nous”. La formule du critique du Figaro résume, à ce moment-là, le niveau de l’affront : “L’armée est bafouée, le drapeau outragé et le théâtre subventionné.” Sous la plume de Jean Genet, l’image de cette mort héroïque a pour référence “un nuage dans un tableau de Murillo”. En se réclamant d’un peintre du Siècle d’or espagnol, contemporain de Vélasquez, l’auteur teinte d’une belle dose d’humour noir le rituel pétomane pour lui donner la dimension d’une révélation quasi mystique.
L’Algérie, sans la nommer
Avec Les Paravents, Jean Genet écrit une pièce sur les prémices d’une insurrection anticoloniale où l’Algérie n’est jamais nommée. Il inscrit son propos à la manière d’une fable dans un Maghreb de fantaisie, au prétexte du mariage de Saïd, un petit voleur si pauvre qu’il ne peut prétendre qu’à épouser Leïla, “la plus laide femme du pays d’à côté et de tous les pays d’alentour”. On suit les tribulations de la famille des Orties, des déclassé·es dans  n monde qui cristallise autour d’elles et eux tous les motifs de la révolte en réunissant prostituées et clients, propriétaires et ouvriers agricoles, gradés et simples troufions.
De Xavier Gallais à Marie-Sophie Ferdane, Mounir Margoum et Catherine Vuillez, Arthur Nauzyciel réunit la bande de ses fidèles pour former une troupe de seize comédiens et comédiennes regroupant trois générations, et dont certain·es avaient participé à la mise en scène de Patrice Chéreau dans les années 1980. Avec plus d’une centaine de personnages convoqués sur le plateau, la pièce est une épopée baroque qui renvoie à une guerre qui ne dit pas son nom. Ne pouvant se résumer aujourd’hui au récit de la fable, le spectacle se devait de mettre en perspective la réalité des événements historiques.
“Il y a eu ce hasard, précise le metteur en scène. Je découvre les lettres d’Algérie que mon cousin Charles, alors jeune appelé étudiant en médecine, adresse depuis Tlemcen à ses parents pendant son service de 1957 à 1959. Ses lettres dialoguent étrangement avec la pièce de Genet.” D’où l’idée de les associer à la représentation comme un contrepoint de réel pour accompagner le texte.
“Dans cette fresque épique, en dehors de toute morale et bienséance, la pièce déjoue et affole nos codes et nos attentes” Arthur Nauzyciel
Pour Arthur Nauzyciel, “la pièce est certainement l’un des piliers fondateurs dans la création du théâtre français contemporain”. L’œuvre dénonce la situation politique d’une Afrique du Nord aux mains des colons, pour autant elle n’empêche pas le metteur en scène d’affirmer : “Les Paravents sont un trompe-l’œil. On croit que la pièce traite de la guerre ; on se trompe. On croit que les rebelles en sont les héros et c’est le traître qui triomphe. Car dans cette fresque épique, en dehors de toute morale et bienséance, la pièce déjoue et affole nos codes et nos attentes. Jean Genet nous emporte en illuminant le monde de la mort et le monde des vivants à travers divers tableaux qui composent un fascinant rituel politique et poétique.”
Comme une stèle dédiée à une page d’histoire qu’il s’agirait enfin de finir d’écrire, Arthur Nauzyciel et son scénographe Riccardo Hernández choisissent de verticaliser le plateau à travers les emmarchements immaculés d’un escalier qui monte jusqu’aux cieux. Ainsi, en l’inscrivant sur cette partition qui donne le vertige, le spectacle semble naître dans l’apesanteur d’un temps suspendu. La grâce des chorégraphies de Damien Jalet s’accorde alors à la sarabande délicate des costumes de José Lévy, pour convoquer une danse des spectres où Genet réunit les vivants et les morts dans le chaos d’une tendre apocalypse. 
Les Paravents de Jean Genet, mise en scène Arthur Nauzyciel, avec Hinda Abdelaoui, Zbeida Bekhajamor, Mohamed Bouadia, Aymen Bouchou, Océane Caïraty, Marie-Sophie Ferdane, Xavier Gallais… À l’Odéon-Théâtre de l’Europe, du 31 mai au 19 juin.



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Author : Patrick Sourd

Publish date : 2024-05-25 06:00:00

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Tags :Les Inrocks

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