On pourrait regarder les faits froidement, un par un, dans l’ordre. La question de la députée LFI Alma Dufour appelant à boycotter Israël, le début de la réponse du ministre –”La France continuera”- sans qu’on sache la suite, et donc ce que la France compte continuer… Sur les bancs de l’Assemblée, côte gauche, un autre élu insoumis, Sébastien Delogu, député des Bouches-du-Rhône, se dresse et brandit le drapeau de la Palestine.Hurlements dans l’hémicycle, brouhaha assourdissant, les huissiers qui saisissent l’étendard noir, vert et rouge, et Yaël Braun Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, annonçant une sanction à venir contre le fauteur de troubles, qui s’époumone : “C’est inadmissible.” Interruption de séance. Rien de nouveau sous le soleil, le théâtre de la politique est si souvent fait de ces coups de mentons, ces “happenings.”On pourrait s’étonner, s’interroger. Brandir un drapeau, quelle affaire… Le règlement de l’Assemblée nationale n’en démord pas, la parole est libre et ne saurait être perturbée. Quand le député LREM avait brandi une banderole “La France tue au Yémen”, il avait écopé d’un rappel à l’ordre. Même sort pour François Ruffin lorsqu’il s’était paré d’un maillot de foot à la tribune. Un drapeau, c’est toujours moins grave que de poser en photo le pied sur un ballon à l’effigie du ministre du Travail Olivier Dussopt, moins grave que de qualifier celui-ci “d’assassin” pendant la réforme des retraites ; et encore moins grave que de lancer “Retourne en Afrique”, comme l’a fait le RN Grégoire de Fournas à un député français et noir de peau. Il avait été exclu 15 jours pour cela, et Delogu subit le même sort.La plus haute sanction possible pour un député. Il aura fallu une semaine pour punir le premier, et environ une heure pour Delogu ce 28 mai. Déséquilibre de la sanction.Reconnaissance de la PalestineLe geste de Delogu est politique, il n’est pas violent. Voilà qui tombe bien, la raison de vivre de l’Assemblée nationale est la politique : on débat pour ne pas se battre. Il y a toujours meilleure méthode pour installer un débat, mais la politique est aussi faite de symboles et de coups de théâtre. Regrettons alors que les députés LFI n’aient jamais brandi de drapeau ouïghour, tibétain, ou même celui d’Israël après le 7 octobre… Pour autant, la reconnaissance de l’État palestinien n’en est pas moins un débat légitime alors qu’aucune solution au conflit israélo-palestinien ne semble se dessiner à l’horizon.Avec cette sanction, l’hémicycle donne l’impression de détourner le regard, alors que l’Irlande, l’Espagne et la Norvège, membres de l’Union européenne, viennent d’annoncer reconnaître l’État palestinien. Au total, ce sont 146 des 193 pays membres de l’ONU qui le reconnaissent officiellement.En France, l’affaire coince mais avance. La majorité présidentielle elle-même n’a pas tranché le débat : Valérie Hayer, la tête de liste Renaissance, considère que “les conditions ne sont pas réunies” pour la reconnaissance d’un Etat palestinien, le numéro deux de sa liste, Bernard Guetta, indique le contraire : “Il faut reconnaître un Etat palestinien pour accélérer une reprise des négociations.” Jean-Yves Le Drian, ancien ministre des Affaires étrangères et président du comité de soutien de la candidate, s’est dit favorable dans un entretien au Parisien. On murmure même qu’Emmanuel Macron serait “sensible” à la question. “Il n’y a pas de tabou pour la France et je suis totalement prêt à reconnaître un Etat palestinien mais […] je considère que cette reconnaissance doit arriver à un moment utile”, a déclaré le président lors de son déplacement en Allemagne. Et d’ajouter : “Je ne ferai pas une reconnaissance d’émotion.”Duel virilisteMais on ne parlera ni de cela, ni des morts à Rafah, ni des otages israéliens encore aux mains du Hamas. On glosera des jours durant de Sébastien Delogu, victime d’on ne sait quoi, héros d’on ne sait quoi, qui quittera l’hémicycle d’un geste de victoire avant d’aller fêter son expulsion dans une manifestation à Paris. Décalage de l’image avec le son des bombardements à Rafah.On parlera plutôt de Meyer Habib, ami revendiqué de Benyamin Netanyahou et de l’extrême droite israélienne, venu interrompre le député LFI David Guiraud qui, lui, se précipitait devant les micros et caméras en sortant de l’hémicycle pour surfer sur la polémique. Duel viriliste, on plastronne, on s’insulte, on fait le tour des plateaux de télévision pour poursuivre le ridicule pugilat à distance.On ne parlera que d’une polémique, d’elle et de ses nourriciers, qui alimentent la bête immonde que sont les réseaux sociaux. Une fièvre qui terrasse notre débat public, annihile tout débat mesuré, posé, intelligible, digne, embrasé mais éloquent. À celui-ci, on préfère le face-à-face. Camp contre camp. Le 7 octobre ou le 27 mai, prière de choisir. Kibboutz ou Rafah. Ce qui est grave et inadmissible ne se situe pas sous les dorures de l’Assemblée nationale. Où sont les sages ? Qui sont les clowns ?
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Author : Olivier Pérou
Publish date : 2024-05-29 06:26:40
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