Depuis le printemps 2023 et la sortie de son premier album au succès fulgurant, Zaho de Sagazan incarne, derrière sa blondeur et ses airs mi-graves, mi-rieurs, l’un des visages les plus populaires de la jeunesse artistique française. À 24 ans seulement, la chanteuse originaire de Saint-Nazaire n’en finit plus d’accumuler les récompenses, les éloges et les dates d’une tournée à guichets fermés.
Aux dernières Victoires de la Musique, elle a triomphé et remporté quatre trophées (un record pour un seul album, surtout un premier), avant de voir La Symphonie des éclairs, son classique instantané, couronné d’un disque de platine (100 000 exemplaires vendus en une petite année). Après une première date parisienne au Point Éphémère au printemps 2022, où elle n’était pas encore signée en maison de disques et où les DA se bousculaient à l’entrée de la salle, un Olympia prestigieux à l’automne 2023 et un Zénith de Paris faisant chavirer la foule (et les ultimes sceptiques) en mars dernier, le parcours de Zaho de Sagazan ressemble à une météorite, que plus rien ni personne ne semble pouvoir arrêter. “C’est fou la vitesse à laquelle on a monté toutes ces marches, sans avoir l’impression d’en avoir loupé pour autant”, résume-t-elle de bonne grâce entre deux rendez-vous matutinaux, employant volontairement le pronom collectif.
Les arts à la racine
Comment cette ancienne auxiliaire de vie à domicile est-elle devenue aujourd’hui l’une des figures les plus connues de la chanson française, “la voix de la nouvelle génération” comme France Inter l’a présentée avant un concert symphonique à la Maison ronde, sous la direction du chef d’orchestre Dylan Corlay ? Dans son enfance passée à jouer sur un piano désaccordé chez ses parents, Zaho ne s’imaginait jamais transformer sa passion naissante en futur métier. Pouvait-elle soupçonner le mariage à succès de ses références à Barbara et Tom Odell – le chanteur et pianiste britannique est son héros revendiqué, avec lequel elle a chanté en duo sur scène et tissé une amitié qu’elle n’aurait jamais soupçonnée, avant une probable collaboration en studio –, mâtinées de sons électroniques ?
Depuis la parution de La Symphonie des éclairs, qui a fait l’unanimité critique et lui vaut un adoubement public, Zaho de Sagazan semble vivre comme si elle ne réalisait toujours pas ce qui lui arrive jour après jour. Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’elle ait choisi de reprendre Moment parfait de Philippe Katerine ou Ah que la vie est belle de Brigitte Fontaine. À la fois disponible, enthousiaste et franche, Zaho de Sagazan aime la vie pour sa simplicité plutôt que pour sa complexité, même si elle se sent encore incapable d’écrire une chanson légère sur le bonheur. Elle se méfie de sa notoriété croissante comme de la moindre obséquiosité, car “le succès peut rendre con”. “J’ai la chance d’être entourée par des personnes simples, qui ne sont pas dans le culte de la personnalité. Alors si je devais conne, ils me le diraient franchement, me lâche-t-elle depuis son taxi traversant la capitale. L’une des choses les plus importantes, c’est l’humilité, et je déteste les gens pédants, donc j’essaierai de ne jamais trop le devenir. (sourire)”
Par ses racines familiales – son père Olivier est plasticien, sa cousine Lorraine de Sagazan metteuse en scène, mais elle ne l’a jamais rencontrée –, Zaho a grandi dans un milieu artistique dont elle a appris à se méfier des poses et des apparences. Le tourbillon médiatique et populaire dans lequel elle vit depuis plus d’un an ne semble jamais l’atteindre, elle qui garde son sourire jovial et son franc-parler en toutes circonstances, en interview comme dans l’espace public. “Avoir un papa artiste et travailleur acharné m’a aidée à mettre la création au milieu de ma vie. On ne naît pas artiste, on essaie de le devenir. J’ai très vite compris que le talent était le fruit du travail. Par ma mère et mes sœurs aussi, qui sont aussi très exigeantes et sans concessions, cela m’a confortée dans l’idée de fonder mon propre label, Disparate, et de préserver mon indépendance.” Zaho de Sagazan ne trouve pas meilleur terrain d’expression que la musique pour faire passer des messages, des histoires, sa sensibilité à fleur de peau. “Je la prenais déjà à cœur à 15 ans quand personne n’écoutait mes chansons”, sourit-elle, choisissant d’interpréter le tube 99 Luftballons de Nena, un morceau contre la Guerre froide qu’elle considère, quarante ans après sa parution, “malheureusement encore d’actualité”.
Un parcours inspiré
Dans son cheminement personnel, Zaho de Sagazan dit avoir été marquée par le film J’ai tué ma mère (2009) de Xavier Dolan, et toute sa filmographie. “À chaque nouveau film, je me suis pris une claque. Mommy est aussi l’un de ses longs métrages que j’aime regarder. Socialement, on apprend beaucoup de choses sur la famille.”
En choc littéraire, elle cite spontanément Crime et Châtiment de Dostoïevski, “une autre claque sociale”. “J’aime quand l’art te permet de mieux comprendre le monde et d’ouvrir des portes sur l’extérieur. Dans l’époque dans laquelle je vis, je balance et j’alterne sans cesse entre deux sentiments contradictoires : l’espoir et la désolation. C’est la définition même de l’être humain que de passer du merveilleux au monstrueux. Cela dit, je veux avant tout me raccrocher aux lueurs d’espoir. Nous sommes sur une Terre extraordinaire et j’ai foi en notre génération pour bousculer l’ordre établi.”
Ainsi parle Zaho de Sagazan, avec son énergie communicative et son naturel désarmant. “J’adore cette vie à 1000 à l’heure, mais à la fin de la tournée, j’aurai naturellement besoin d’un sas de décompression. Et en prévision du deuxième album, il faudra revenir avec de nouvelles capacités, prendre des cours de piano, de danse, apprendre un nouvel instrument, expérimenter en studio avec mes potes. Le danger serait d’enchaîner et de sortir un nouveau disque trop rapidement. J’ai aussi une partie de moi qui a envie de redevenir auxiliaire de vie pour retrouver le milieu associatif et revivre normalement. Parler de ma vie anormale ces derniers mois n’aurait aucun sens pour nourrir des nouvelles chansons.” Les pieds sur terre, la tête sur les épaules et des rêves “au-dessus des nuages”, comme elle le chante, Zaho de Sagazan poursuit sa marche triomphale dans la chanson française. L’avenir lui tend les bras, sans savoir précisément à quoi il ressemble.
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Author : Franck Vergeade
Publish date : 2024-05-29 16:00:00
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