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[Nos jeunes gens modernes] Paul Kircher : “Être moderne, c’est trouver son système à soi, trouver du sens”

[Nos jeunes gens modernes] Paul Kircher : “Être moderne, c’est trouver son système à soi, trouver du sens”



En seulement deux longs métrages, Paul Kircher, 22 ans, a imprimé son visage angélique et sa gracieuse maladresse dans le paysage du cinéma français, et se révèle déjà comme l’un des comédiens les plus passionnants de son temps.

Dans Le Lycéen de Christophe Honoré, qui l’a révélé, il donnait à son héros en formation une puissance d’incarnation inouïe, son éclatante juvénilité rencontrant la sourde et inquiétante tristesse d’un deuil brutal. Le Règne animal de Thomas Cailley reconduisait le motif de la perte et offrait au jeune acteur une nouvelle occasion de prouver ses talents élastiques, dans une partition où l’indolence lunaire de son adolescence était malmenée par une force animale soudaine.

Alors qu’on le retrouvera pour la première fois au théâtre, en janvier prochain, dans la reprise des Idoles de Christophe Honoré, où il sera le nouveau Bernard-Marie Koltès pour cause de comédien indisponible, on a discuté avec Paul Kircher de son rapport à l’époque, de la notion de modernité et de ses goûts.

Qu’est-ce que tu fais en ce moment ?

J’ai terminé le tournage de Leurs enfants après eux de Ludovic et Zoran Boukherma en octobre. Je suis en train de tourner dans le prochain film de Cédric Klapisch. Je joue un peintre qui s’installe à Paris en 1895 pour travailler. Ça me plaît beaucoup de travailler avec Cédric Klapisch et de jouer un personnage à un moment où faire de la peinture avait une autre importance, une autre place dans la société. Je trouve l’époque aussi très intéressante. C’est le début de la photographie, du chemin de fer… Ce sont les prémices de l’industrialisation. J’aime bien lire des livres sur cette période, l’œuvre de Zola par exemple.

Ça t’arrive d’être nostalgique d’une époque que tu n’as pas connue ?

Non, mais je trouve les autres époques intéressantes. Ce qui est fascinant, c’est que ce sont d’autres façons d’exister. Je ne suis pas nostalgique, mais j’aime m’imaginer comment les gens vivaient. Pour moi, aujourd’hui, c’est la meilleure époque ; c’est cool quand même, on a beaucoup d’outils. Je trouve qu’on y est bien. Dans cinquante ans, les gens la trouveront sûrement intéressante. En étudiant une époque comme celle de 1895, je me dis que les sentiments, les émotions ne sont finalement pas si différents, mais les couleurs si ; c’est pour ça que les gens peuvent être nostalgiques.

Tu es à l’aise avec les outils de communication de ton époque, justement ?

Je les utilise, oui. C’est comme pour tout le monde. Si il n’y avait pas le téléphone, ce serait autre chose. Il y a des hauts, des bas. J’ai un rapport plutôt normal aux réseaux sociaux, je n’ai ni l’impression que ça me sert à quelque chose, ni que ça me dessert. Le téléphone existe, donc à un moment, il faut juste accepter de dealer avec. C’est comme les réseaux sociaux : puisque ça existe, je les utilise, sans abuser.

Pour toi, c’est quoi la modernité ?

Pour moi, c’est une sorte de système que tu as dans la tête. C’est quelque chose qui fonctionne différemment par rapport à la norme. Je pense que c’est surtout une façon d’être, une façon de voir les choses. Être moderne, c’est trouver son système à soi, sa façon de fonctionner, trouver du sens.

Tu as l’impression d’avoir trouvé ton système ?

Parfois oui, parfois plus. Quelque chose de moderne ne l’est jamais éternellement. Le sentiment de modernité est unique, il se détache du reste. La modernité passe vite, les éléments changent, le temps passe. Il faut trouver d’autres équations, sinon tu deviens buté, et donc plus moderne.

Quel est pour toi le film qui a le mieux capté l’essence de ce qu’est une jeune génération ?

Plusieurs films composent le portrait d’une génération. Requiem for a Dream de Darren Aronofsky ne correspond pas vraiment au portrait de ma génération, mais je pense qu’il saisit quelque chose d’une certaine jeunesse, notamment sur des questions liées à un sentiment d’aveuglement, au fait que certaines préoccupations prennent tout l’espace mental. En tout cas, un film générationnel n’est pas un film où tout roule. Ce serait un film où les gens ne voient qu’une toute petite partie de ce qui existe vraiment. Je pense aussi à Kids de Larry Clark.

Quels sont les œuvres avec lesquelles tu as grandi ?

Je dirais les films de Charlie Chaplin, Arizona Dream d’Emir Kusturica, Arizona Junior de Joel Coen. Les films de Kieślowski, aussi. J’ai grandi avec l’album Shootenanny! d’Eels, je l’écoutais tout le temps petit et encore aujourd’hui. Sinon, Croire aux fauves de Nastassja Martin est un livre qui m’a marqué. Je l’ai lu il y a trois ans en préparant le Règne animal de Thomas Cailley. Je l’ai rouvert il y a deux, trois jours et je suis retombé sur des notes que j’avais prises. C’est dingue comme le livre m’avait parlé pour le film. Il y a beaucoup de liens entre les deux. C’est une anthropologue qui allait souvent dans des contrées très éloignées en Russie et qui raconte une rencontre qu’elle a faite avec un ours. Elle a été marquée par l’ours, il l’a attaquée. Elle parle de la cohabitation dans son corps entre elle et la bête. Franchement, le livre est très fort.

Dirais-tu que Le Règne animal a éveillé chez toi une conscience politique ?

Je ne sais pas, peut-être qu’au contraire, ça m’a fait voir notre société sous un autre regard, d’un peu plus loin. Je me souviens d’avoir vu davantage notre côté animal. Ça m’a fait penser un peu moins aux préoccupations politiques. Le corps du personnage dans le film change, son psychisme change. Il va au plus logique ; à partir de ce moment-là, il est guidé par son envie directe. Dans cette dynamique, c’est vrai qu’aller au plus logique, ce n’est pas débattre, c’est faire son truc pour soi et pour ceux qu’on aime, répondre à ses besoins. Le Règne animal m’a fait voir le monde et mon rapport à la nature différemment, et m’a aussi un peu détendu dans mon rapport aux autres.

Es-tu très attentif aux questions de représentation dans les scénarios que tu reçois ? As-tu suivi le MeToo français ?

Forcément, un scénario donne plus envie quand il est connecté à aujourd’hui, quand justement, c’est moderne. Quand c’est le cas, je m’en réjouis. J’étais présent aux César quand Judith Godrèche a fait son discours. Quand tout le monde applaudit, se lève après un discours comme ça, tu te dis qu’il y a une vraie entente générale. C’était très fort. J’ai l’impression que, dans les moments comme ça, le message passe et que les choses seront inévitablement différentes. Ça imprime quelque chose.



Source link : https://www.lesinrocks.com/cinema/nos-jeunes-gens-modernes-paul-kircher-etre-moderne-cest-trouver-son-systeme-a-soi-trouver-du-sens-619776-02-06-2024/

Author : Marilou Duponchel

Publish date : 2024-06-02 16:00:00

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Tags :Les Inrocks

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