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Nucléaire : 45 ans après l’accident, le surprenant retour en grâce de Three Mile Island

La centrale nucléaire de Three Mile Island (TMI), à Middletown (Pennsylvanie)




Sur le bord de la route, à mi-chemin entre Falmouth à Middletown, dans l’Etat de Pennsylvanie, un panneau rappelle le traumatisme survenu il y a quarante-cinq ans : “Le 28 mars 1979, et pendant plusieurs jours, à la suite de dysfonctionnements techniques et d’erreurs humaines, l’unité 2 de la centrale nucléaire de Three Mile Island a été le théâtre du pire accident nucléaire commercial du pays”, est-il indiqué en lettres d’or. Installé en 2009 par les autorités locales, le message réveille la fibre écolo des touristes de passage. Mais, dans les environs, seule une fraction de la population s’oppose encore à l’énergie de l’atome. La plupart des habitants ont tourné la page. Ils se montrent même favorables à un redémarrage des activités sur place.”Il faut savoir qu’à la fin des années 1970, la centrale de Three Mile Island comptait deux réacteurs, confie Mark Nelson, fondateur et directeur général de Radiant Energy, une société de conseil promouvant l’énergie nucléaire. Celui de l’unité 2 a définitivement fermé après l’accident. L’unité 1, elle, a continué de fonctionner pendant près de quarante ans, après un renforcement de son niveau de sûreté.” Son activité s’est interrompue en 2019 pour des raisons économiques. Mais, aujourd’hui, la question d’une éventuelle remise en service est sur toutes les lèvres.Redémarrer un réacteur sur un site dont l’histoire fut marquée à jamais par un relâchement de radioactivité et l’évacuation de milliers de personnes, l’initiative passerait sans doute difficilement en France, où l’atome conserve de nombreux adversaires. En revanche, dans une Amérique pragmatique, prête à saisir les moindres opportunités économiques, l’hypothèse ne soulève guère d’opposition. Three Mile Island n’est même qu’un cas parmi d’autres.Des besoins énergétiques en forte hausseCes dernières années, les Etats-Unis ont fermé une douzaine de réacteurs pour des motifs économiques. Leur exploitation devenait trop coûteuse en raison de la concurrence des énergies renouvelables et de l’abondance de gaz naturel à prix cassé. Désormais, les médias américains se demandent combien parmi eux reprendront du service, tant les besoins en énergie sont énormes. Une partie des installations semble définitivement perdue. Certaines, comme Indian Point, au nord de New York, ou San Onofre, au sud de Los Angeles, sont déjà en cours de démantèlement. Ailleurs, les propriétaires n’ont pas effectué les travaux de maintenance nécessaires pour maintenir leur installation en assez bon état. Cependant, selon diverses sources, au moins cinq réacteurs pourraient être rebranchés à court ou moyen terme.La pression est forte. “Les centrales nucléaires américaines en exploitation fonctionnent presque à plein régime. Il y a donc peu de marges de manœuvre pour augmenter la production. Parallèlement, les besoins en énergie, liés notamment à la puissance de calcul informatique dans l’intelligence artificielle, explosent. Une préoccupation majeure pour les entreprises. Nombre d’entre elles passent donc des contrats directs avec les producteurs d’électricité ou investissent dans leurs propres installations énergétiques”, indique Mark Nelson. Ainsi, pour alimenter son énorme centre de données baptisé Cumulus, dans le nord-est de la Pennsylvanie, Amazon Web Services (AWS) a sécurisé par contrat d’énormes quantités d’électricité. Celles-ci viendront directement de la centrale nucléaire de Susquehanna, située à proximité.Ces arrangements entre le monde de la tech et celui de l’énergie seront bientôt légion, prédisent les économistes. Car les Etats-Unis manquent de sources d’énergie fiable et décarbonée. Dans ce contexte, le redémarrage des centrales encore en bon état prend tout son sens. Il permet d’accroître la quantité d’énergie disponible sans avoir à payer le coût faramineux d’une installation neuve. Cerise sur le gâteau, les aides financières pleuvent, réduisant encore davantage le coût de l’opération.La loi sur la réduction de l’inflation (IRA) prévoit d’octroyer jusqu’à 30 milliards de dollars de crédits d’impôt aux producteurs d’énergie nucléaire au cours des dix prochaines années. Un autre texte, adopté en 2021, met à disposition un fonds de 6 milliards de dollars pour renflouer les centrales en difficulté. Le département de l’Energie américain ne cache pas son engouement pour l’atome : selon lui, les Etats-Unis doivent tripler leur production nucléaire d’ici à 2050 afin d’atteindre leurs objectifs en matière de climat. Et ce, malgré les progrès accomplis dans l’éolien et le solaire !Stoppée en 2022, la centrale de Palisades, située dans le Michigan, devrait être la première à bénéficier de ces conditions financières exceptionnelles. Son propriétaire, Holtec, a réussi à négocier une garantie de prêt de 1,5 milliard de dollars pour la remise en service de son installation, sa modernisation et son exploitation jusqu’en 2051. Certes, le financement de l’opération reste subordonné à l’obtention des autorisations réglementaires. C’est la première fois qu’une installation nucléaire est réactivée de cette manière outre-Atlantique. Il n’existe donc pas de mode d’emploi administratif. Cependant, les équipes d’Holtec estiment que le projet avance rapidement. Elles tablent sur une production d’électricité dès la fin de l’année 2025. Les élus locaux espèrent déjà en tirer des bénéfices : le redémarrage de la centrale injecterait 363 millions de dollars dans l’économie locale.Une rentabilité assurée”D’autres acteurs disposant d’une centrale nucléaire récemment arrêtée semblent prêts à tenter l’aventure”, assure Jigar Shah, le directeur du bureau des programmes de prêts du département américain de l’Energie, interrogé récemment par l’agence Bloomberg. Ce financier très courtisé refuse de citer le nom des lieux concernés. “Mais l’un des meilleurs candidats est sans doute Three Mile Island”, assure Mark Nelson. Contrairement à Palisades, dont le propriétaire ignore tout de la gestion de centrale – son but initial était d’en organiser le démantèlement -, l’unité 1 appartient à un acteur dont la réputation n’est plus à faire, Constellation Energy, qui gère le parc de réacteurs le plus important du pays. Son directeur général, Joe Dominguez, se dit favorable à quelques réouvertures, sans plus de précision. Les élus et la population locale espèrent désormais une décision rapide, synonyme de plusieurs centaines d’emplois, et de recettes fiscales.Si ce n’est pas l’unité prévue qui redémarre, ce sera peut-être un nouveau modèle plus petit. Les centrales nucléaires existantes ou en cours de fermeture constituent, en effet, des sites intéressants pour les petits réacteurs modulaires, dont le développement est en pleine effervescence outre-Atlantique. Toutefois, grâce aux aides de l’Etat, la rentabilité d’une grosse installation semble assurée à court et moyen terme. Ce n’était pas le cas il y a cinq ans. A l’époque, Three Mile Island était la seule des cinq centrales nucléaires de l’Etat de Pennsylvanie à perdre de l’argent – 57 millions de dollars en 2019.Aujourd’hui, les crédits pour la production d’énergie nucléaire inclus dans la loi garantissent un coût de production proche de 42 dollars par mégawattheure jusqu’en 2032. Or les entreprises les plus gourmandes en énergie n’hésitent pas à payer le double pour sécuriser leurs approvisionnements. Cette convergence d’intérêt entre producteurs et gros consommateurs d’électricité inspirera-t-elle d’autres réouvertures ailleurs dans le monde ? Pour l’heure, les exemples de réhabilitation de centrales restent rares en dehors des Etats-Unis. Au Japon, 12 réacteurs sur 33 ont repris un fonctionnement normal depuis l’accident de Fukushima en 2011. Il en faudrait dix de plus pour réduire la facture énergétique du pays, devenu accro aux importations de gaz. Le géant de l’électricité Tepco bataille pour obtenir le feu vert nécessaire au rallumage de plusieurs unités sur son site de Kashiwazaki-Kariwa. Mais cette relance divise le pays.”En France, le redémarrage est pratiquement impossible une fois que l’arrêt définitif de la centrale nucléaire a été prononcé par l’Autorité de sûreté (ASN) et acté dans un décret”, explique Dominique Grenêche, physicien, membre de l’association Défense du patrimoine nucléaire et du climat (PNC-France). De plus, la réglementation française oblige l’exploitant EDF à démarrer les opérations de démantèlement le plus tôt possible. Pour l’expert, le vrai problème est ailleurs. “Les responsables de ces fermetures s’arrangent parfois pour qu’aucun retour en arrière ne soit possible d’un point de vue technique en sabotant volontairement l’installation. Ce genre d’opérations a été menée à deux reprises, pour Superphénix et pour Fessenheim”.L’Allemagne aura peut-être plus de chance. “Ce pays possède l’une des politiques les plus préservatrices au monde. Bien qu’arrêtés, certains de ses réacteurs sont toujours en très bon état. Ils pourraient donc être théoriquement redémarrés après les élections prévues en 2025”, estime Mark Nelson. Le spécialiste a déjà fait ses calculs. Outre-Rhin, dix réacteurs pourraient être remis en service pour le coût d’un exemplaire neuf. Dans certains cas, l’addition serait conséquente – plusieurs milliards d’euros. Mais dans d’autres il “suffirait” de quelques centaines de millions et d’un délai inférieur ou égal à deux ans pour terminer les réparations et les tests nécessaires. “Cela permettrait de fournir de l’électricité à des millions de citoyens allemands”, assure Mark Nelson. Encore faut-il le vouloir sur un plan politique. Le site de l’ancienne centrale nucléaire de Kalkar, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, devait accueillir un réacteur surgénérateur à neutrons rapides. Il est devenu un parc d’attractions. Tout un symbole.



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Author : Sébastien Julian

Publish date : 2024-06-02 09:45:00

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Tags :L’Express

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