Valerio Zulini (1926-1982) était un homme issu de la bourgeoisie de Bologne, un intellectuel (il était diplômé en droit et en histoire de l’art), un introspectif, un solitaire qui ne fréquentait pas le, pourtant petit, monde du cinéma italien de Cinecittà et ses génies des années 1960 (Fellini, Antonioni, Pasolini, etc.). Zurlini préférait la compagnie des peintres – dont certains étaient ses amis : Balthus, Giorgio Morandi (lui aussi un solitaire casanier), Ottone Rosai, moins connu en France etc.– ou des écrivains, comme Alberto Moravia.
Une mélancolie féconde
Et, ses films en témoignent, il était profondément dépressif – il en mourut–, et c’est peut-être la caractéristique de son cinéma, qu’on l’appelle mélancolie ou nihilisme. Il connut le succès (La Fille à la valise et surtout Journal intime, avec Marcello Mastroianni et Jacques Perrin, son acteur dans trois films, son ami, qui devint son producteur et qui remporta ex æquo un Lion d’or à Venise. Toute sa vie – comme beaucoup de cinéastes, à vrai dire –, il peina à financer ses films.
Quand il ne tournait pas, il vivait de la vente de tableaux. Il écrivait des articles sur l’art, des scénarios et des adaptations que les producteurs confiaient finalement à d’autres réalisateurs, comme Le Jardin des Finzi-Contini, d’après le célèbre roman de Giorgio Bassano, qui fut finalement réalisé par Vittorio De Sica. Il dirigeait aussi des doublages et donnait des cours de cinéma.
Zurlini a tourné huit films de long métrage. Il appartient à une génération de cinéastes qui sont les enfants du fascisme. Ils portent cette dette comme un poids (voir L’Été violent pour le comprendre). Influencé par le mouvement “calligraphiste” du début des années 1940 (un formalisme qui tendait à se dégager de la production cinématographique mussolinienne courante – dont les représentants les plus connus en France étaient Alberto Lattuada et Mario Soldati), il naît au cinéma après la fin du néo-réalisme, et l’aborde comme un peintre, extrêmement attaché au découpage, à la composition des plans, à la position des corps des acteur·ices, obsédé par l’idée de donner au paysage une force symbolique, de filmer de près les visages pour tenter de révéler les pensées et les sentiments des personnages.
Les plus beaux des gâchis
Le gâchis est peut-être le maître-mot de cette œuvre déchirante, qui a ses admirateurs cachés (Zurlini n’est pas le plus célèbre des cinéastes italiens), des gens qui n’ont pas besoin de se parler dès qu’ils apprennent que ’autre aime ses films, et notamment Le Professeur (1973), tourné dans les brumes de Rimini, co-produit et joué par Alain Delon – qui mit beaucoup de temps à comprendre qu’il avait tourné l’une des oeuvres majeures de sa filmographie – le tournage se passa très mal entre Zurlini et sa star.
Avec le splendide Journal intime (aucun rapport avec le film de Nanni Moretti), en 1962 ou plutôt Cronaca familiare, Le Professeur (dont le titre italien est beaucoup plus parlant : La prima notte di quiete, soit “la première nuit de tranquillité”, qui désigne la mort) est un film qui ne donne la place à aucun espoir.
Toute vie est un gâchis. Tout amour est un gâchis (L’Été violent, en 1959, ou La Fille à la Valise, en 1961, l’un des plus beaux rôles de Claudia Cardinale). Dans Des Filles pour l’armée (film à la distribution internationale improbable : Marie Laforêt, Anna Karina, Léa Massari), la vie des femmes grecques obligées de se prostituer pour vivre auprès de bataillons entiers de soldats italiens surexcités est évidemment foutue.
Dans l’œuvre de Zurlini, ne reste à sauvegarder de la vie que des moments pleins, rares, des épiphanies où le désir et/ou ’amour se mêlent, et redonnent soudain un regain de vie aux personnages (ces moments rares où les deux frères parviennent à faire un, dans Cronaca familiare).
Mais où tout retombe soudain dès que la musique s’arrête, qu’un avion de guerre est abattu et tombe dans la mer, à quelques encablures de la plage de la cité balnéaire de Riccione, où des enfants de notables fascistes connaissent leurs premiers émois amoureux (L’Été violent).
Pour les spectateur·ices sensibles à ce cinéma, restent des films profondément BEAUX.
Filmographie
1955 : Les Jeunes Filles de San Frediano (Le ragazze di San Frediano)
1959 : L’Été violent (Estate violenta)
1961 : La Fille à la valise (La ragazza con la valigia)
1962 : Journal intime (Cronaca familiare)
1965 : Des filles pour l’armée (Le soldatesse)
1968 : Assis à sa droite (Seduto alla sua destra)
1969 : Quand, comment et avec qui ? (Come, quando, perché) d’Antonio Pietrangeli. Zurlini achève le tournage après la mort accidentelle de Pietrangeli dans le golfe de Gaeta)
1972 : Le Professeur (La prima notte di quiete)
1976 : Le Désert des Tartares (Il deserto dei Tartari)
Rétrospective Valerio Zurlini. Du 30 mai au 9 juin 2024, à la Cinémathèque française, Paris.
Source link : https://www.lesinrocks.com/cinema/valerio-zurlini-a-la-cinematheque-pourquoi-redecouvrir-le-plus-raffine-des-cineastes-italiens-du-xxe-siecle-620393-04-06-2024/
Author : Jean-Baptiste Morain
Publish date : 2024-06-04 10:48:59
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