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80e anniversaire du Débarquement : “Le rôle des soldats français est trop souvent négligé”

Débarquement des troupes alliées à Utah Beach, à Sainte-Marie-du-Mont, dans la Manche, le 6 juin 1944, durant la Seconde Guerre mondiale




S’il n’y a qu’un seul livre à lire sur le “D-Day”, c’est celui-ci. De sable et d’acier, publié en avril aux éditions Passés composés, retrace avec minutie la patiente et longue préparation du Débarquement du 6 juin 1944, étape décisive de la chute du jour nazi sur l’Europe. Historien et ancien officier de l’armée britannique, Peter Caddick-Adams a autant arpenté les archives que les plages, où il a recueilli un grand nombre de témoignages inédits de vétérans.D’une écriture limpide, fourmillant de détails éclairants, ce récit, dans sa deuxième partie, retrace les assauts alliés depuis Utah Beach, à l’Ouest, jusqu’à Sword, à l’Est, en passant par Omaha, où il emmène son lecteur autant sur la place que dans les bunkers allemands. “Un débarquement sur une côte défendue est la plus difficile de toutes les opérations militaires, rappelle-t-il. Les assaillants, ce jour-là, sont en guerre contre les Allemands, mais également contre le vent, les marées, la météo et la géologie.” Entretien.L’Express : A quel point le “D-Day” a-t-il changé la vie de ceux qui y ont participé et y ont survécu ?Peter Caddick-Adams : Il s’agit de la plus grande opération militaire du XXe siècle et de l’événement le plus dramatique dans la vie de ceux qui y ont participé. La plupart des participants à la vague d’assaut s’attendaient à mourir lors du débarquement, mais les alliés ont subi incroyablement peu de pertes. On estime que 4414 soldats, marins et aviateurs alliés ont perdu la vie le 6 juin 1944, alors qu’un minimum de 20 000 morts était attendu.La plupart des soldats alliés n’avaient jamais quitté leur ville, comté, province ou pays d’origine avant la guerre. Le déploiement en France fut donc mémorable, nouveau et passionnant pour eux, en particulier pour ceux qui ont grandi en zone urbaine, pour qui la campagne normande était totalement nouvelle.Qu’est-ce qui a été décisif dans la longue préparation du Débarquement ?Deux facteurs ont particulièrement concouru à ce succès. Le premier a été le carburant. Les Américains ont emporté le leur avec eux, en étaient inondés et n’en manquaient jamais. De leur côté, les Allemands n’ont cessé d’en manquer, ce qui condamnait de nombreuses troupes à se déployer au combat en utilisant les 115 000 chevaux inscrits au service de la Wehrmacht au 1er juin 1944, ou à vélo. Le deuxième facteur clef a été “l’occupation amicale” de la Grande-Bretagne par les Etats-Unis, pratiquement oubliée aujourd’hui. En mai 1945, quelque 2 914 843 de militaires américains, hommes et femmes, avaient rejoint les îles britanniques par voie maritime, et plus de 100 000 autres par voie aérienne, avec toutes les ressources nécessaires pour soutenir leur armée de trois millions de personnes.Il est très difficile de se préparer à l’inattendu. Dans quelle mesure les alliés sont-ils parvenus à relever ce défi ?L’entraînement a été terriblement brutal : escalade de falaises, alpinisme en Ecosse, entraînements d’assaut amphibie le long des côtes anglaises, quotidien difficile avec de mauvaises rations, tests de privation de sommeil, exercices de combat en zone urbaine, répétitions de manœuvre avec des avions et de l’artillerie tirant de vraies munitions, sauts en parachutes et vols en planeurs sans fin pour les forces aéroportées. J’ai constaté que chaque détachement d’assaut perdait entre 5 et 50 hommes à l’entraînement, souvent à cause d’accidents avec des grenades, des balles réelles ou par noyade. Il y a eu bien plus de perte que le jour de l’invasion. Le succès du 6 juin 1944 a été obtenu parce que l’entraînement était plus dur que l’opération. J’ai été le premier à découvrir cela, car aucun historien n’avait auparavant examiné à ce point les archives des 12 mois précédant juin 1944 dans les trois armées.Votre livre expose aussi les mensonges et les omissions de nombreux récits de survivants du Débarquement. Comment avez-vous fait pour les découvrir ?Mon parcours d’officier militaire réserviste pendant 30 ans – j’ai servi en Bosnie, en Irak et en Afghanistan – m’a permis de me mettre dans l’état d’esprit de ces guerriers de 1944. Je connais aussi chaque centimètre carré du sud de l’Angleterre et de la Normandie associé à l’invasion, que j’ai énormément arpenté. Vous seriez surpris du nombre d’historiens qui écrivent sans avoir visité les champs de bataille… La connaissance du terrain est tout aussi primordiale que les entretiens oraux, les journaux ou les archives originales. Ainsi, vous avez une idée claire de ce qui est valable et de ce qui ne l’est pas. Je suis convaincu que peu d’anciens combattants ou d’historiens ont cherché à tromper leurs lecteurs, mais le temps peut brouiller ou perturber les faits dans leur esprit. Le travail d’un historien est celui d’un détective : démêler le vrai du faux.Quel rôle les Français ont-ils joué lors du jour-J ?Il est trop souvent négligé. Il y avait une importante présence française lors du Débarquement. Outre les fameux 177 membres du commando Kieffer, quatre groupes de 8 parachutistes du 3e Special Air Service (SAS, forces spéciales britanniques) ont été largués au-dessus de la Bretagne. Il y avait aussi une importante flotte française au large, comprenant les croiseurs Montcalm et Georges Leygues, les destroyers Roselys et La Combattante, ainsi que huit autres frégates et corvettes.Les troupes alliées en mer avant le Débarquement en juin 1944 en NormandieDe plus, trois escadrons de chasseurs et deux escadrons de bombardiers français ont survolé la Normandie. Enfin, 60 officiers français ont débarqué avec les troupes d’assaut pour servir d’interprètes et de liaison avec la population locale et les résistants. Le “D-Day” était si ambitieux qu’il fallait la participation de tous. La victoire aurait été moins certaine sans la contribution française. Au même moment, une deuxième armée française dirigée par le général de Lattre, forte de 200 000 hommes, se préparait à envahir le sud de la France, pour un débarquement de Provence intervenu le 15 août suivant.Pourquoi est-il si difficile de réussir une opération amphibie comme celle du Débarquement ?Un débarquement sur une côte défendue est la plus difficile de toutes les opérations militaires : les assaillants, ce jour-là, sont en guerre contre les Allemands, mais également le vent, les marées, la météo et la géologie. Aujourd’hui encore, nous n’avons aucun contrôle sur la météo. En 1944, le Débarquement a été reporté de 24 heures. Et une violente tempête a failli détruire l’invasion deux semaines plus tard.Quelles leçons fondamentales les Chinois, d’une part, et les Taïwanais, d’autre part, peuvent-ils tirer du Débarquement ?Il n’y a aucune preuve que les Chinois préparent une opération amphibie contre Taïwan, ni qu’ils disposent d’une capacité maritime suffisante pour cela. Ils disposent d’une marine côtière, en transition vers une marine hauturière. Ils viennent tout juste de mettre à l’eau leur premier porte-avions conçu et fabriqué en Chine [NDLR : leur troisième au total] et doivent encore apprendre à l’utiliser. N’ayant aucune envie d’affronter une marine américaine qui maîtrise l’exercice amphibie, ils tenteront d’obtenir le plus de résultats possibles par la voie diplomatique et leur propagande.La prochaine grande opération militaire amphibie sera-t-elle nécessairement différente du Débarquement du 6 juin ?Je ne suis pas sûr que les futurs assauts amphibies différeront beaucoup de ceux de 1944, sauf en matière d’exploitation des satellites, des drones et de la cyberguerre, ainsi que de l’utilisation d’hélicoptères. De tels assauts nécessiteront encore un grand nombre de navires, en particulier de débarquement, appuyés par les tirs navals des vaisseaux de guerre.



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Author : Cyrille Pluyette

Publish date : 2024-06-05 07:21:41

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