Quelque 153 milliards d’euros, soit environ deux fois le budget de l’Education nationale. Tel était le poids des fonds détenteurs d’au moins un label de “finance durable” en assurance-vie fin 2023, selon France Assureurs. C’était à peine 6 milliards cinq ans plus tôt ! Ce bond en avant des encours responsables au sein du placement roi des Français s’est d’abord produit sous une pression réglementaire croissante. Côté conseil, votre intermédiaire – banquier, assureur, courtier… – doit s’enquérir de vos attentes en termes de “durabilité” et vous proposer des placements adaptés. Côté offre, tout contrat – sauf celui comprenant uniquement un fonds en euros – doit contenir a minima un support d’investissement (ou unité de compte) labellisé ISR (Investissement socialement responsable), un autre Greenfin (vert) et un troisième Finansol (solidaire). L’assureur est enfin tenu d’indiquer le pourcentage de fonds labellisés présents dans l’enveloppe qu’il vous présente.Le problème ? On trouve désormais sur le marché une offre bouillonnante, qui va bien au-delà des obligations légales. “Les assureurs disposent maintenant de multiples unités de compte, et pas seulement des fonds actions, constate Pascale Baussant, gérante de Baussant Conseil et membre du comité du label ISR. Cela leur permet de répondre aux demandes de leurs clients avec des fonds thématiques sur l’eau, le bois, le climat ou l’emploi, immédiatement déchiffrables par l’épargnant.”La course au mieux-disant est lancée. Les grosses enseignes, notamment bancaires, ne cessent de diversifier leur palette de fonds labellisés ISR, qui atteint parfois la totalité de leur offre, comme à la Société générale. Les solutions de gestion pilotée thématique estampillée ESG (environnement, social et gouvernance) foisonnent également, du Crédit Mutuel Arkéa à Axa, via l’association Agipi, en passant par moult contrats de la toile. Certains acteurs mutualistes se démarquent aussi en rappelant leurs convictions, tels Groupama, la Maif ou la Macif, qui proposent des solutions “responsables” depuis plusieurs années.Cette effervescence se traduit dans les chiffres : l’observatoire ISR 2023 de Quantalys, un organisme compilant des données financières, recense en moyenne 302 fonds labellisés ISR par contrat ! Gare au trompe-l’œil statistique toutefois. Bien des enveloppes du marché ne contiennent en réalité que 10 à 30 supports, dont une poignée seulement est durable. Chez les courtiers spécialisés et les conseillers en gestion de patrimoine, le référencement de fonds verts est beaucoup plus dense : logique, leurs contrats sont des supermarchés de l’épargne, avec des centaines (voire des milliers) de supports disponibles.Méfiez-vous du marketing !Un autre effet de loupe provient de la multiplication des acteurs en ligne. Outre les marques connues comme Fortuneo et BoursoBank, dont l’offre est partiellement labellisée, toutes les jeunes pousses numériques (ActiveSeed, Goodvest, Green-Got, etc.) lancent des enveloppes au contenu 100 % “responsable”, sous forme de gestion le plus souvent pilotée. Notons encore l’arrivée d’associations d’épargnants comme Kaori, créée par le Secours catholique, qui diffuse une assurance-vie très engagée. Une initiative intéressante, même si l’encours de ces nouveaux venus demeure marginal. Et si l’on retrouve souvent les mêmes assureurs derrière ces distributeurs, en l’occurrence Generali pour les offres précitées.Sur ce marché qui avance en ordre dispersé, l’épargnant doit impérativement dépasser le marketing bien huilé de l’offre “verte”. Bon à savoir : le gendarme du marché (l’ACPR) avait tancé les assureurs-vie fin 2022 pour leurs publicités pouvant induire en erreur les clients sur la réalité de leurs engagements. Certains experts vont même plus loin, comme l’avocat Olivier Laffitte, président de l’Observatoire du droit de la finance durable : “La plupart, pour ne pas dire la quasi-totalité, des assurances-vies écoresponsables sont loin de répondre aux attentes et exigences exprimées par leurs souscripteurs”, dénonçait-il dans une tribune publiée mi-2023. Comme tout placement, l’assurance-vie n’échappe pas au risque d’écoblanchiment.Voilà pourquoi il faut toujours s’en tenir à une analyse stricte de l’offre proposée. L’assurance-vie est avant tout un produit d’épargne, dont la qualité dépend de sa grille de frais, de son offre financière et de ses services. N’oubliez donc pas de relever la performance des fonds en question sur plusieurs années. Et ne faites pas l’impasse sur le fonds en euros garanti, qui reste prépondérant dans les portefeuilles. Questionnez enfin votre interlocuteur sur le contenu “durable” de ce dernier ; vous constaterez parfois qu’il ne s’y connaît pas vraiment…Ensuite, au-delà de l’offre de fonds labellisés, n’hésitez pas à élargir le spectre de l’investissement responsable, en scrutant vers le non-coté, les fonds d’infrastructure durable, l’immobilier (de plus en plus de sociétés civiles de placement immobilier sont labellisées ISR) ou les fonds croissance (celui de Generali a récemment été labellisé Finansol).Une autre façon d’investir utileVous pouvez également suivre la piste des gestions clés en main, soit pour viser une thématique (par exemple, la biodiversité), soit pour vous en remettre à des fonds indiciels labellisés, comme chez Yomoni ou Nalo. Ces solutions se retrouvent davantage chez les acteurs en ligne ? N’ayez pas d’inquiétude sur ce point ; votre épargne y est garantie par un assureur de poids, même si le courtier venait à fermer ses portes. Seuls certains contrats récents sont dépourvus de fonds en euros, empêchant toute mise à l’abri de votre épargne.Intéressez-vous enfin aux assureurs historiquement engagés dans une démarche verte, à l’instar de la Maif, même si leur offre est plus limitée. Mais n’oubliez pas qu’un fonds, ISR ou non, n’est pas synonyme de garantie en capital, des pertes étant toujours possibles. Restez donc en phase avec votre profil d’épargnant.Et si tout cela vous paraît trop compliqué, sachez que la mutuelle d’épargne Carac vous propose d’attribuer 1 % de vos versements à une association d’entraide (parmi six au choix). En 2023, ce sont plus de 200 000 euros qui ont ainsi été récoltés. Une autre façon d’investir utile avec son assurance-vie.Fonds en euros : la boîte noireRéglementairement, les assureurs sont tenus de publier un compte rendu annuel spécifiant la part de leur fonds en euros investie dans des supports responsables et solidaires. Dans les faits, le silence reste souvent de mise quant aux investissements concrètement réalisés.Cependant, quelques assureurs (mutualistes) se démarquent sur le sujet. Par exemple, Suravenir (Crédit Mutuel Arkéa) indique que 31 % des investissements réalisés dans son actif en euros l’ont été dans des supports “durables”. La MACSF a, de son côté, pris des engagements chiffrés selon les classes d’actifs. 85 % des encours de son fonds en euros sont du reste couverts par une analyse ESG. La France mutualiste indique par ailleurs avoir consacré 53 % de ses investissements en obligations à des obligations vertes ou sociales en 2023.Enfin, quelques initiatives sont à saluer. Ce printemps, la compagnie Spirica, filiale du Crédit agricole, a lancé un fonds en euros nommé Objectif Climat, comportant “une sélection de fonds impactant la transition énergétique et écologique”. Plus concret encore : le fonds en euros de la Maif est labellisé Finansol.Pas de méprise, toutefois : la priorité des assureurs est de nourrir leurs actifs en euros de titres obligataires rentables. Qu’ils soient responsables ou non.Un article du dossier spécial “Placements responsables”, paru dans L’Express du 30 mai.
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Publish date : 2024-06-05 09:00:00
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