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“Drag Race France” : une saison 3 patriotique ?

“Drag Race France” : une saison 3 patriotique ?



Le début de la diffusion de la saison 3 de Drag Race France intervient dans un moment particulièrement prolixe en représentations de personnes LGBT+ au cinéma.

On pense d’abord au Festival de Cannes qui a décerné pour la première fois son prix d’interprétation féminine à une actrice trans : Karla Sofía Gascón, pour son rôle dans Emilia Perez de Jacques Audiard. Plus largement, la quinzaine cannoise a été rythmée par de grands films queers comme Les Reines du drame d’Alexis Langlois, Miséricorde d’Alain Guiraudie ou encore Marcello Mio de Christophe Honoré.

Un pas en avant… pour trois en arrière?

En plus de ce dernier film, on peut déjà découvrir dans les salles de la France entière La Belle de Gaza de Yolande Zauberman, Anhell69 de Theo Montoya et, dès aujourd’hui, Orlando, ma biographie politique de Paul B. Preciado. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter puisque, dans les semaines à venir, sortent Love Lies Bleeding de Rose Glass (12 juin), The Summer with Carmen de Zacharias Mavroeidis (19 juin), The Human Surge 3 d’Eduardo Williams (3 juillet) et enfin Eat the Night de Caroline Poggi et Jonathan Vinel (17 juillet).

Mais, Drag Race France revient aussi dans une situation d’inquiétant recul des droits des personnes trans, puisque le Sénat a adopté la semaine dernière une loi restreignant l’accès aux bloqueurs de puberté pour les mineur·es. Caractérisée par sa dimension politique, la version française menée par Nicky Doll arrive donc dans un double contexte, à la fois très stimulant en termes d’images, mais aussi alarmant en termes de droits des personnes LGBT+. Elle arrive également dans un contexte national tendu avec les élections européennes, la crise en Nouvelle-Calédonie et enfin le manque d’entrain autour de l’organisation des Jeux olympiques.

Tourné en début d’année, ce premier épisode propose une chambre d’écho assez éloquente à toutes ces thématiques qui ont pour point de convergence un enjeu d’affirmation national ; du chauvinisme inhérent aux Jeux à la question du corps électoral calédonien, en passant par l’Europe. Ce qui frappe d’emblée, c’est la réjouissante diversité du casting (notamment avec la Réunionnaise Norma Bell et la Franco-Bolivienne Magnetica, dont on parie qu’elles se disputeront la finale), couplée à une surcharge de symboles nationaux.

Est-ce bien nécessaire ?

Pour la première fois, le sceptre de celle qui succédera à Keiona est surmonté d’un drapeau français fait de strass. En termes d’éléments de langage, Nicky Doll appuie ce patriotisme en qualifiant ce nouveau casting “d’héroïnes de la nation” ou, filant la métaphore olympique (elle est d’ailleurs la première drag queen à avoir porté la flamme), “d’athlètes du drag” et surtout en détournant la devise française “liberté, égalité, perruque pailletée”.

Mais, c’est le runway de ce premier épisode qui illustre le plus littéralement cette obsession patriotique avec son thème : Made in France. L’interprétation qu’en ont fait les queens convoque à la fois des évidences – la France du luxe (le champagne, le parfum), du cinéma (Alice Guy, les frères Lumière) et celle de la Révolution (Marie-Antoinette et sa guillotine, Marianne et son drapeau, tagué cette fois de “liberté, égalité, solidarité”) –, mais aussi des pas de côtés plus inattendus (le stylo Bic) et engagés avec les produits issus de l’ex-empire colonial (la mandarine, la vanille) ou une invention pour les personnes handicapées (le braille).

Si la déclinaison de ce sentiment de fierté nationale peut être vue dans une logique de réappropriation, la lourdeur avec laquelle il est d’emblée affiché par la production interroge. Dans le climat d’hystérisation nationaliste qui s’annonce avec les Jeux, fallait-il vraiment que Drag Race France prête à ce point le flanc à toute cette symbolique patriotique en allant jusqu’à affubler son sceptre du drapeau national, ce que la version US n’avait jamais fait ? On en doute.

Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 5 juin 2024. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !



Source link : https://www.lesinrocks.com/series/drag-race-france-une-saison-3-patriotique-620681-05-06-2024/

Author : Bruno Deruisseau

Publish date : 2024-06-05 08:12:23

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Tags :Les Inrocks

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