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[Nos jeunes gens modernes] Alexis Langlois, le cinéaste queer qui secoue le cinéma français

[Nos jeunes gens modernes] Alexis Langlois, le cinéaste queer qui secoue le cinéma français



On sait combien l’histoire du cinéma queer est affaire de troupes, de familles artistiques soudées par une fidélité souvent exclusive autour d’un cinéaste – l’Antiteater de Rainer Werner Fassbinder, les Dreamlanders de John Waters. La bande d’Alexis Langlois n’a pas de nom. On pouvait entendre parler des Terreurs au moment de la sortie de son court métrage, De la terreur, mes sœurs ! en 2019, mais rien d’officiel. Raya Martigny, l’une de ses égéries, parle avec un peu de raillerie de “la Factory of Alexis Langlois”. Avec ou sans nom, cette troupe approche de ses quinze années d’existence, marquées par les triomphes de ses courts puis la consécration cette année d’un premier long, Les Reines du drame, présenté à la Semaine de la critique à Cannes avant une sortie à la fin de l’été.
C’est dans la fête queer parisienne du début des années 2010 que se sont liés les destins du réalisateur et des futures figures de son cinéma, Raya Martigny, Dustin Muchuvitz, Nana Benamer et Naëlle Dariya, “aux soirées Flash Cocotte et Trou aux Biches notamment”, se souvient Muchuvitz. Elles sont mannequins, actrices ou DJ, un peu de tout cela, ou bien le deviendront bientôt ; elles ont pour certaines des velléités de cinéma depuis longtemps ancrées, tandis que d’autres n’ont pas du tout prévu d’emprunter une telle voie ; elles sont, enfin, pour beaucoup des femmes trans.
Langlois, qui a appris avec une avidité fiévreuse le cinéma comme un jeu d’adolescence, passant la sienne à parodier des clips et des cartoons au caméscope avec sa sœur Justine, les filme d’abord dans un frappant premier court directement arraché à leur propre vie, Fanfreluches et idées noires. Plongée dans un after mi-dionysiaque, mi-mélancolique, ethnographie enamourée d’une faune nocturno-matinale mêlant drags et clochards, le film est sublime et surtout unique dans sa filmographie, en ce qu’il reste encore chevillé au réel, à la frontière du documentaire – une vraie fête a précédé le tournage et les interprètes sont aussi chimiquement altéré·es qu’il y paraît.
Dès son second court et jusqu’à son passage au long, Langlois prend ses quartiers au royaume du faux, de l’outrance stylistique, des artifices artisanaux, frottant son cinéma aux codifications de la comédie musicale, du teen movie (À ton âge le chagrin c’est vite passé), de l’horreur joyeuse, plongeant dans un onirisme tramé de pulsions vengeresses émanant de jeunes femmes trans (De la terreur, mes sœurs !) ou de réalisatrices malmenées (Les Démons de Dorothy), ne ratant jamais une occasion d’affubler ses interprètes de maquillages SFX monstrueusement baroques hérités de sa passion adolescente pour Buffy.
Parallèle à l’explosion d’une certaine scène queer incarnée notamment par Yann Gonzalez (Un couteau dans le cœur), Bertrand Mandico (After Blue (Paradis sale)) ou Caroline Poggi et Jonathan Vinel (Jessica Forever), Langlois partage avec elle des partenaires artistiques (Marine Atlan, chef op’ attitrée de Poggi et Vinel), des interprètes (Félix Maritaud débauché de Sauvage pour un contre-emploi hétéro-beauf dans De la terreur…), mais pas forcément le registre souvent lyrique, poétique et romantique des dialogues, que l’on retrouve moins dans son cinéma. “Je crois que mon lyrisme se trouve dans les décors, dans l’image, dans la musique. Dans le texte, j’ai besoin d’humour, ou de rester très concret pour faire avancer le récit.”
À partir de De la terreur, mes sœurs !, le succès est relativement colossal. Relativement, car évidemment circonscrit aux cacahuètes d’audience que la distribution alternative peut accorder à un court métrage trash et queer ; colossal, car aucun court-métragiste français n’a sans doute eu une telle surface médiatique depuis… Alain Guiraudie ? Primé, placardé en une de magazine, le film sort en salles et érige un cinéaste qui devient alors suffisamment courtisé pour appâter les vedettes pop. Lio, ainsi que son icône personnelle Rebeka Warrior (Sexy Sushi, Kompromat), s’invitent au générique de son quatrième court, Les Démons de Dorothy. Bilal Hassani lui commande un clip hautement érotique magnétisé par la présence de François Sagat.
Ses égéries prennent leur envol : Raya Martigny poursuit une fastueuse carrière de modèle au moment où la mode s’ouvre aux corps trans ; Dustin prête son visage et son prénom à un court métrage sélectionné à Cannes. “Je n’aurais pas eu cette vie sans Alexis, je n’aurais pas eu le courage de l’acting, et peut-être pas non plus ce sens de la communauté, de la troupe”, assure cette dernière. Martigny, plus nuancée sur le pygmalionisme (“On le guide autant qu’il nous guide, ce n’est pas du mentorat”), incarne de façon limpide la démocratisation de l’underground queer que le cinéma de Langlois a accompagné à sa manière, notamment par sa participation au carton de Drag Race France.
Langlois n’a même pas encore sorti son premier long mais dispose déjà d’un aréopage de fans – dont Gio Ventura, acteur principal des Reines du drame : “J’avais découvert ses courts et lui avais envoyé un message d’admiration sur Facebook, auquel il avait répondu assez poliment. Je l’ai rencontré plus tard au festival de Locarno et l’ai supplié qu’on travaille ensemble.” Une telle hype, digne des pop stars que le cinéaste a panthéonisées dans ce premier long, aurait de quoi faire vriller. Il – ou elle, la conversation oscillant entre masculin et féminin – a l’élégance d’y répondre par un déploiement de l’envergure, un rehaussement de son cinéma à des altitudes de grand mélodrame mi-pop mi-punk, furieusement ambitieux. Il est sans doute temps de trouver un nom à cette bande.



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Author : Théo Ribeton

Publish date : 2024-06-07 16:00:00

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