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“Love Lies Bleeding” de Rose Glass, road trip féministe et puissant

“Love Lies Bleeding” de Rose Glass, road trip féministe et puissant



Jusqu’à présent, l’histoire du cinéma a fait du muscle l’apanage érotique du corps masculin, notamment canonisé par Bruce Lee dans Opération Dragon, Arnold Schwarzenegger dans Conan le Barbare, Brad Pitt dans Fight Club ou Christian Bale dans American Psycho. Si ce quasi-monopole a bien été battu en brèche par les biceps bandés de Linda Hamilton dans Terminator 2 et d’Angela Bassett dans Tina, ou encore par le corps bodybuildé de Raye Hollitt dans la géniale scène de sexe de L’amour est une grande aventure de Blake Edwards, ils ne sont jamais au centre de la mise en scène.

Il aura donc fallu attendre Love Lies Bleeding, second film de la jeune cinéaste britannique Rose Glass, pour qu’un véritable équivalent féminin apparaisse en la personne de Katy O’Brian. Déjà aperçue dans des rôles secondaires sur le grand écran (Ant-Man et la Guêpe : Quantumania et bientôt dans le prochain Mission : Impossible) et le petit (The Mandalorian), Katy O’Brian est spécialiste de plusieurs arts martiaux, bodybuildeuse et a également occupé un emploi de policière pendant sept ans, avant de déménager à Los Angeles pour devenir actrice.

La célébration de ce corps magnifique passe autant par le costume (mini-short, brassière et débardeur) que par le recours au gros plan, mais elle réside avant tout dans le récit. À la toute fin des années 1990, Jackie (O’Brian) vagabonde de ville en ville, avec pour destination finale Las Vegas, où elle a prévu de participer à un concours de bodybuilding. Sur sa route, elle croise Lou (Kristen Stewart), une gérante de salle de sport. Leur histoire d’amour, fulgurante, sera mise à mal par l’emploi que décroche Jackie dans un stand de tir tenu par le père de Lou (Ed Harris), à qui cette dernière ne parle plus.

Entre règlements de comptes familiaux, prise de stéroïdes, érotisme lesbien et grand banditisme, Love Lies Bleeding se pose comme un thriller révolutionnaire du point de vue de la sexualisation du corps féminin, une sorte de négatif musculeux de Showgirls de Paul Verhoeven. Mais il l’est aussi en tant qu’œuvre féministe, d’une façon plus inattendue et discutable. Jusque-là, les deux grands films sur des couples de femmes en lutte contre le patriarcat que sont Thelma et Louise et Bound offraient à leurs héroïnes deux portes de sortie opposées, mais toujours au volant d’une voiture et surtout placées sous le sceau d’une forme d’idéalisme moral ; le suicide chez Ridley Scott ou le happy end dans le film des Wachowski. Sans révéler la fin de Love Lies Bleeding, on peut dire qu’il propose une troisième voie, toujours derrière le volant : celle de l’assimilation et de la reproduction de la violence par les femmes.

À la manière de Tarantino dans Kill Bill ou dans Boulevard de la mort, Rose Glass dit que pour survivre, les femmes n’ont parfois d’autre choix que de perpétuer la violence dont elles sont l’objet. On peut à la fois le voir comme un progrès, dans le sens où il n’y a pas de raison que les personnages féminins soient tenus à une forme de pureté morale à laquelle ne sont traditionnellement pas soumis les homologues masculins, mais aussi avec un certain pessimisme : la violence engendre la violence, sans possibilité d’y échapper. Le premier plan ascensionnel du film est à ce titre un mensonge. Il débute dans une funèbre crevasse terrestre, pour ensuite s’élever vers les astres. Si Lou et Jackie atteindront bien les étoiles, dans une sublime séquence relevant de l’allégorie fantastique, elles seront ramenées à cette crevasse, inexorablement.

Pour comprendre la misanthropie de Love Lies Bleeding, il faut revoir le premier long métrage de la cinéaste, Saint Maud (2021), body horror sur une jeune infirmière bigote qui sombre dans une folie sanguinaire à mesure qu’elle entend une voix divine. Les deux films ont en commun un détail qui n’en est pas un : la mise en scène de la cigarette comme un poison qu’on s’auto-administre. Que cela soit à travers le personnage de la patiente cancéreuse et toujours autant fumeuse de Saint Maud ou celui de Lou, qui passe ses journées à écouter une méthode pour arrêter le tabac tout en grillant clope sur clope,les films de Rose Glass sont des cocktails vénéneux, des catalogues de substances addictives et potentiellement mortelles, mais dont le sevrage est impossible ; cigarette, stéroïdes, fanatisme religieux, emprise amoureuse et criminalité. En deux récits toxiques, Rose Glass a fait siennes les paroles du plus grand tube de la princesse de la pop : “It’s dangerous, I’m falling, There’s no escape, I can’t wait, I need a hit.” 

Love Lies Bleeding de Rose Glass, avec Kristen Stewart, Katy O’Brian, Anna Baryshnikov (G.-B., É.-U., 2023, 1 h 44). En salle le 12 juin.



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Author : Bruno Deruisseau

Publish date : 2024-06-08 06:00:00

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