Il pourrait tout se permettre : en revisitant ad vitam æternam son répertoire ou celui du Velvet Underground, il serait à jamais applaudi et célébré. Manifestement, John Cale ne court pas après les standing ovations. Au lieu de refaire Fragments of a Rainy Season (1992) ou de rejouer The Velvet Underground & Nico (comme à la Philharmonie de Paris en 2016), il cherche à ébranler la statue dans laquelle il pourrait être enfermé vivant.
Délaissant le trône de son hypothétique royaume – celui, désormais poussiéreux, de l’avant-garde rock –, l’octogénaire préfère se jeter (à nouveau) dans la mêlée de la pop, moins celle de Taylor Swift que celle d’Animal Collective ou L’Rain. Oui, il y a dans son parcours des vingt dernières années quelques voyages entre passé et présent – M:Fans (2016), remake essentiel du Music for a New Society, initié après la mort de Lou Reed en 2013. Mais durant ce troisième millénaire, John Cale a surtout envisagé le studio comme le lieu d’un recommencement, l’instrument d’une mise en danger nécessaire.
Cale repique à la hargne du rock’n’roll
Cette révélation a été facilitée par la profusion d’outils technologiques excitants et, depuis HoboSapiens (2003) et surtout Shifty Adventures in Nookie Wood (2012), on l’entend jouer avec les samples, les boucles et tout ce qui peut lui permettre de manipuler les sons. Épaté par les manipulations radicales du hip-hop, le Gallois new-yorkais jouit d’une liberté accrue, celle d’un peintre qui n’aurait plus de cadre.
L’année dernière, Mercy le voyait exorciser son mal-être post-Covid et son besoin de connexions humaines avec un bouquet de collaborations (Fat White Family, Weyes Blood ou Actress). Il revient seul ou presque – Nita Scott produit avec lui – pour un POPtical Illusion passionnant, rempli de pistes sonores où jamais il ne s’égare. Ces douze nouveaux titres témoignent de son état d’esprit toujours inquiet de manière plus ou moins directe.
Ainsi, Cale repique à la hargne du rock’n’roll avec Shark-Shark et son incisif riff de guitare, tandis que I’m Angry tient de la complainte synthétique. Grand mélodiste, il sait mettre les formes pour transmettre ses troubles – le single How We See the Light ou Davies and Wales, qui évoque l’ambiance de Paris 1919. POPtical illusion se termine même sur There Will Be No River qui, avec ses arpèges de piano et sa dramaturgie, tient du classique instantané.
POPtical Illusion (Double Six/Sony Music). Sortie le 14 juin.
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Author : Vincent Brunner
Publish date : 2024-06-10 07:00:00
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